• Auteurs,  Textes

    Mémoires de ma vie

    Je me suis souvent dit: “Je n’écrirai point les mémoires de ma vie; je ne veux point imiter ces hommes qui conduits par la vanité et le plaisir qu’on retrouve naturellement à parler de soi, révèlent au monde des secrets inutiles, des faiblesses qui ne sont pas les leurs et compromettent la paix des familles”

    Chateaubriand
    1809

    Furinkazan

    April 2019

  • Furinkazan,  Textes

    La Musique aux Tuileries

    Édouard Manet

    1862

    La rumeur semble identique, la température de l’atmosphère également. Cent cinquante ans séparent ces deux scènes, et pourtant de leur position côte à côte, elles se déplacent graduellement l’une en direction de l’autre, se superposant complétement et se fondant en une seule perception visuelle, unique et anachronique. Le regard des hommes, sérieux et en même temps scrutant les différents attroupements composés immanquablement de deux à quatre individus, recherchent une figure similaire, confirmant leur appartenance à cette faune humaine bigarrée. 

    Les façades roses ou beiges, la peinture coulant parfois sous forme de cônes glacés de printemps, la structure métallique immobile du wagon, en attente de départ pour la France, laissant transparaître des silhouettes mobiles aux traits imperceptibles à travers les vitres fumées, ont remplacé les feuillus aux verts horizontaux, constituant la partie supérieure de la toile. 

    Le point de ravitaillement occupe un tabouret de fer, semblable en consistance aux chaises délaissées au premier plan de la peinture, servant de reposoir pour un cerceau ou un chien portant inconsciemment le bleu frappant de ses maîtresses. La texture conique des cheveux du distributeur de palliatifs laisse apparaître les volutes tortueuses et parfois rapides s’échappant de la cigarette partagée. Une solitude intense perce les yeux globuleux mi ouverts et injectés. Une existence entière est contenue dans ce regard, un désenchantement définitif, immobilisant les mains lasses de cette âme déchue. 

    Des voix aux différentes langues se précisent parfois à travers le brouhaha, se distinguent nettement pendant quelques secondes, amenant des bribes de conversations identiques à celles échangées à l’abris des chênes et marronniers des Tuileries, aussi souvent émise pour la première fois, depuis la nuit des temps….

    Les accoutrements divergent, soulignant pourtant les mêmes utilités. Les casquettes et bérets ont remplacé ces haute-formes, d’où naissent les troncs soutenant le parasol naturel constitué par les arbres. La lumière tiède et déclinante se mêle aux effluves éthyliques, aux senteurs de haschich, pour baigner quelques instants ces êtres de chair dans une illusion de communion pacifique, une pause artificielle dans leur existence maussade. 

    Ces communications éphémères s’interrompent l’une après l’autres, heurtant légèrement le sol comme une corde reliant les différents participants, s’affalant brusquement. Les enveloppes restent clouées dans le même périmètre, mais uniques et isolées, une masse de points distincts, sans plus aucune relation tangible les uns avec les autres. 

    Furinkazan

    Avril 2019

  • Furinkazan,  Textes

    Implosion

    Les montagnes enneigées s’alimentent de ma force, intègrent mon énergie pour la détruire implicitement et complètement.  Annihilation de mon souffle qui flotte juste devant ma bouche, se balance insensiblement devant moi, vit et périt juste après.

    Mâchonnement de chewing-gum dans ce continuum entre un menton informe et un cou gras, surplombant deux joues flasques et pendant à moitié.

    Consistance morne projetée par des yeux bleus indifférents, flottant de manière insignifiante, traînant à hauteur de ce regard vide, insipide et mort, vivant mais mort…. 

    La mastication bovine se poursuit, malgré la fermeture de cette sacoche informe noire, faite de pétrole et compressée. Je reste dans une intimité partagée, une animalité spontanée et naturelle, sans jeux, sans hypocrisie. 

    Aspiration de la substance autour de moi, les mots du morceau entendu mangent ma quintessence, me signifient et font naître mon antagonisme. Les teintes de mon portrait se dissipent lentement, à fur et à mesure que mon image s’écoule au rythme du liquide ajouté par à-coup. Déformation progressive de mes traits, dilution de mon visage, maintenant informe et vulgaire, traînée incompréhensible. Les couleurs se mélangent, le bleu avec le brun et le blanc, filigrane horizontale hachuré. 

    Pas de destruction, juste une renaissance anéantie, avortée, irréelle. Réalité de la poire alternée, ombre projetée, corps éclairé par l’ampoule transparente, faisant apercevoir le fils incandescent de mon âme, orangée comme le sang, comme la glaise mélangée à la terre d’Afrique.   

    Furinkazan

    Avril 2019