Furinkazan,  Textes

Bénarès

Un air épicé et lourd, attaquant la surface de ma peau, étouffant les gouttes de sueur qui tentent de laisser échapper la chaleur intense prisonnière de cette enveloppe charnelle indissociable du paysage lucide et aigu s’offrant à mon regard depuis le balcon d’un café.

Un brouhaha constant, sourd, presque indistinct, intégré à l’ensemble des perceptions m’assaillant. Une densité humaine inégalée, une continuité de peaux halées se déversant dans l’artère principale, comblant le moindre espace inoccupé par de la matière inanimée, infiltrant chaque ruelle, chaque devanture d’échoppe, pourrait générer une anxiété extrême, pour un agoraphobe cherchant un centimètre carré de dégagement, de non humain, criant, transpirant, déféquant. Mon corps est comprimé par cette marée palpitante, et malgré tout, je me sens irrémédiablement happé à distance, le processus d’extraction m’interdisant à nouveau de faire partie de la scène qui se déroule devant moi, la rendant irréelle, comme une pure production de l’esprit. Je me sens pourtant si semblable à ces êtres respirant, aussi vulnérable, la matière nous constituant étant la même; mais je reste interdit, je n’ai pas le droit de participer, de vivre cet instant. Je peux observer l’action, l’activité de ces milliers d’êtres minuscules, grouillant, comme enfermés dans un cube de plexiglas, posé à mes pieds. J’aimerais rentrer, intégré cette mascarade sans arrière-pensée, sans considération aucune, me laissant porter par le flux, persuadé d’être vivant.

Pour fuir ce sentiment insupportable engendrant une solitude délirante, j’erre à travers les ruelles de cette ville trop colorée, qui offre des odeurs donnant le vertige, allant d’un émerveillement olfactif primitif, passant devant les étalages d’épices jamais même rencontrés, à une nausée viscérale liée à l’odeur des selles remontant du fleuve, odeur portée par la fumée fétide s’émanant des cadavres se consumant dans les crématoires à ciel ouvert.

La chambre de mon auberge de jeunesse, dernier refuge contre l’agression vitale de l’extérieur. Pourtant le sentiment nauséabond ne me quitte pas, l’humidité extrême et dense lui permet de ruisseler contre les murs obscures de cette pièce minuscule, éclairée par une simple lucarne me portant les bruits de la rue. C’est un déversement de liquide épais et noir comme le pétrole, qui encercle lentement le corps d’un colocataire, jeune anglais voyageant seul et désirant également réduire les frais de logement. Or il ne remarque rien, continue à lire son roman de gare, allongé sur sa couche, se faisant lentement ensevelir sous cette roche volcanique mouvante. Je sors, le laissant à sa lecture, à sa vie pleine, justifiée, l’enviant certainement.

Furinkazan

Juillet 2018