Furinkazan
-
Sombre forêt
-
Mont Blanc
-
Vevey
-
De omnibus dubitandum est
-
On my very own way to nowhere
-
Paroles
Que l’on soit deux ou cent, il y en a toujours un qui parle.
-
« Les sons impalpables du rêve »
Douceur feinte. Impatience controversée, attendant l’accélération des notes de piano, qui ne viendra jamais au vu de la constance indéfectible du morceau. Espacement toujours maintenu, lent et pourtant menaçant, chaque nouvelle note incarne une métamorphose, revêt une robe acoustique inédite, tissée de sons s’opposant au sein d’un quadrillage enserré, espaces laissant apparaître une lumière sonore et blafarde, sous forme de chants d’oiseaux. Le morceau couvre le bruit du mouvement des feuillus, incontestablement présent à mes yeux ; ralenti irréel, distance tamponnée par l’air portant toutes les rumeurs s’intercalant entre mes sens et l’image d’un arbre, à quelques dizaines de mètres. Evolution chancelante de ma pensée, rythmée par la démarche musicale, claudiquant entre les feuilles des oliviers.
Juillet 2021
Furinkazan
Musique d’Olivier Messiaen
-
Le printemps en hiver
Un chemin rectiligne, tracé par une lame chauffée à blanc, dont s’échappent des langues bleues incandescentes. Frontière tranchée. Essoufflement lourd, poitrine subjuguée par un mal térébrant. Scission inéluctable pulsant contre des paupières closes.
Moineaux métronomes.
Saveurs losangiques du café en excès agaçant et distendant les flancs de ma langue.
Réseau feuillu qui fibrille en accord avec les battements d’ailes du frelon attisé par le pollen de cet hiver chaud.
Urgence des cloches de midi scandant la prochaine ouverture du portique ; le corps vieillit, figé au sommet de cette course qui devrait « être la bonne », incapable de s’élancer dans la réalité éphémère qui fuit devant lui.
Ballon d’enfant emmaillotée par les linges chaleureux du soleil, comme un nouveau-né calmé.
Février 2021
Furinkazan
-
Le bonnet
Décembre 2020
Furinkazan
-
Impersonnalité
Sensation de retour, les caractères se meuvent sur mon écran ; une histoire inventée par les hommes, pour les hommes. Complexité de l’intrigue et pourtant les protagonistes semblent simples, inchangés depuis des temps ancestraux avec leur surfaces uniforme pileuse prenant une position iconographique religieuse, ralenti sur un bras semi-fléchi, buste s’avançant, un genou effleure le sol, mêmes parades et relations éphémères ; la pierre, le feu, le sang, 1949…12 546 ans avant J-C…il y a 1 million d’années.
Impression angoissante et factice d’une continuité unitaire, de l’ensemble des êtres depuis le commencement jusqu’à cet instant précis, cette dernière seconde s’écoulant le long de mes cils enchevêtrés. L’individu projeté sur la toile englobe l’humanité, image triviale d’une espèce décrite risiblement comme complexe, subtile, unique. Entité inimitable ; en réalité une pluralité universelle se déverse hors de cette fenêtre, une réplique infinie et vaine d’un élan primaire, commun à chacune de ces existences fugaces.
Tout se rejoue, tout se récapitule en une seconde photographique, réduisant au néant de la multitude cette inspiration brève, qui se voulait singulière.
Furinkazan
Décembre 2020
-
Liminiscence
Soudainement, l’image floue de notre condition humaine survole le quadrant supérieur gauche de mon champ visuel ; spectre muet, réminiscence de nos limites, les limites de l’homme.
Pince atmosphérique enlaçant mon corps, tentant de le ramener à sa nature périssable, fragile tension de cette peau, accueillant enfin les arabesques du temps.
« Oublie toi en tant que noyau, entonnoir de perception, replace-toi parmi les millions de lanternes qui s’élèvent laconiquement vers le ciel, portées par la chaleur d’une flamme qui rapidement ronge la coupole papyracée, provoquant l’autodafé de cette minuscule entité, annihilant effectivement toute trace de son existence. »
Furinkazan
Novembre 2020
-
Les Masques
Le bombement rythmique de ma peau, distingué à jour frisant au bord interne d’un poignet semblant appartenir à quelqu’un d’autre. Les lignes bleues, diagonales tortueuses chevauchent les tendons, ces cordes rectilignes muettes, déconnectées de ma volonté, néanmoins présentes à ma vue.
Les masques assurent le circuit fermé pour nos gazes sanguins, la récupération de chaque mots émis, de chaque jugement, cycliquement éructé puis ingurgité à travers ces lèvres sèches. Ressac éternel des mêmes convictions, par nous et pour nous, hermétiquement séquestrées loin des autres haleines acides contenues par les façades bleues papier, impassibles et anonymes. Auto-alimentation stérile, satisfaction sublime naissant d’un accord parfait entre nos propres opinions et nos propres opinions, consentement unilatérale engendrant un sentiment maniaque de suprématie, fatuité vaine s’évaporant rapidement dans l’air froid surplombant la rame du train qui crisse abominablement.
Entretien chimérique avec un interlocuteur immatériel, représenté par un œil blanc fiché au sein de l’oreille, mimiques invisibles et vaines, couvertes par le tissu masquant la face qui s’agite, les traits qui se complaisent dans un soliloque abscons. Un regard animé traverse littéralement les spectres attenants, bien réels et qui meublent de leurs chaires l’environnement invisible où se projette une lame optique, scindant l’acier et le bêton dématérialisés.
L’ autophagie verbale, la réabsorption de concepts intacts de toute emprunte tierce mène à l’accumulation toxique de principes univoques, suffocation lente et solitaire du producteur et consommateur infatué, isolé avec lui-même, mais ravi.
Furinkazan
Novembre 2020
-
Sperme, Selles et Sang
Tout se mélange sur la surface glane et nacrée de la cuvette, traces odorantes d’une vaine tentative de récapituler cette existence biologique et absconse.
Décharge libératrice d’une condensation, portée par d’innombrables électrons impétueux et aveuglés, s’incarcérant les uns dans les autres, fusionnant régulièrement à chaque inflexion de mes pensées. Annihilation d’une entière descendance pour la survie de leur créateur, perdant de faite sa seule légitimité; faire subsister son espèce méphitique, se rependant en toute direction comme une nuée de blattes, milliards d’individus minuscules, pour recouvrir rapidement la surface verte de cette sphère paisible et inexorable. Ruissèlement de foutre le long des vals lisses et parfaits s’allongeant pour former ces éternelles et continuelles images corporelles, languissantes et enragées, générés par le modelage sociologique, onirique et numérique, des cellules stèle portant l’empreinte génétique, depuis peu accessible à la manipulation par son propre spécimen.
Expression éprouvante de l’étron plombé qui obstrue ma vision, déchargeant de toute gravitation chaque particule de cette enveloppe baignée de sueur. Impression de soulagement extatique, proche de l’exhalation d’un dernier souffle de vie, vers un néant inconscient. Enfantement d’un être putride, compaction momifiée des abas tombés en marge des vécus oubliés, débordant du réceptacle vital chancelant sur ma tête inclinée.
Maïeutique fécale me laissant inerte, vide et temporairement soulagé de cette réalité absurde.
La brutalité de l’accouchement laisse quelques gouttes de sang vermeille, volutes de fumée écarlate teintant bientôt la totalité de l’eau claire. Saignée prodromique d’une extinction imminente ; le fluide, soutenant faiblement cette mascarade souvent ignorée, s’écoule inexorablement vers les bouches d’égout, pour se lier à celui des autres vivants, de maintenant et d’avant.
Furinkazan
Juillet 2020
-
Les yeux
Je ferme les yeux.
Découpe cunéiforme du profile statique, sans un clignement. Regard fixe, sans connexion avec ses pensées. Écumes lumineuses, pulsant d’un orange à un violet, puis à un vert, s’écoulent au bout des cils allongés, ruissellent le long de cette projection scrutatrice en direction d’un objet absent, ou du moins inconnu.
Déversement impassible de substance introspective stérile, inerte, vers l’extérieur de l’enveloppe chatoyante composée par sa peau. Matériel exhalant vers l’avant, sans destination ou but tangible.
Juin 2020
Furinkazan
-
Errance
Une voix limpide, un français exempt d’accent, me réveille dans la gare cloche, vide de chaire mais pleine d’échos : « l’Humanité c’est de la merde ; je l’encule ».
Distinctement, ouvertement, cette exclamation ostentatoirement assurée, projetée depuis le haut des escaliers où sied un homme seul, la tête suspendue entre des avant-bras lassés, semble s’évaporer dans une volute d’épuisement, se désagrégeant lentement à travers ce grand hall cinglant. Un dernier souffle arraché aux mains creusées par des gerçures fines craquelant le lit de ses ongles salis par la lente dissection des ordures abandonnées par ses pairs. Une abnégation triste et rancunière de cette espèce, qu’il abhorre et en même temps à laquelle il aimerait désespéramment appartenir.
A la descente du train, le mouvement erratique et incoordonné imprimé à une baguette en bois par le bras désespéré d’un homme accroupis attire mon attention. Au pied d’un distributeur Selecta, le va-et-vient frénétique et irrégulier de cet essuie-glace improvisé explore l’espace étroit sous la machine rouge, à la recherche de quelques pièces égarées par des acheteurs repus. Les voyageurs afférés voguent autour de cet être, évitant machinalement son corps replié, sans aucune conscience de cette vie fusionnant simplement avec le métal lui faisant face, s’intégrant au décor matériel de cette indifférence matinale, répétée inlassablement.
Des milliers d’individus, nus et indistincts, femmes et hommes à la peau recouverte d’un épais duvet obscure, débordent au-delà de la coque d’une barque immense, se rependant dans une mer irréelle et flottant dans cet espace immatériel et infini ; ils patientent passivement, les jambes en tailleur, se scrutant les uns les autres d’un air désabusé. Tous identiques et pourtant isolés dans une individualité transcendante leur interdisant toute rencontre, malgré la faible distance les séparant.
Furinkazan
Mai 2020
-
La boule de Noël
-
L’ espace
-
Lombok
-
Forest
-
Travaux
-
Parcelles
-
Le napalm
Équilibre dans la chute, tangage ralenti de la courte carène oblongue, verte et vacillante, cerclée d’une ligne jaune. Le temps s’est arrêté tout autour de l’image de cet objet flottant, vu d’en haut, seule composante mobile animant ce panorama circulaire.
Vol à travers un silence lancinant et les grésillements incrustés transitoirement sur le ciel nuageux et blanc d’une ancienne pellicule. La musique renaît progressivement à mes oreilles alors que le projectile s’approche tangentiellement à l’épiderme de la jungle dense, pour accueillir enfin la première déflagration de basses, immense et gloutonne, coïncidant avec la libération du napalm blanc, se rependant au ralenti, dévorant instantanément chaque feuille d’arbre; transformation incandescente défoliant les arborescences de mes pensées, et consumant leurs racines sous la surface de la terre noircie, assurant une annihilation complète des derniers germes de production mentale.
Paysage noir, cendré et fumant, sans aucun mouvement, aucune lueur, aucun souffle. Reflet de mon esprit dorénavant vierge. Les rouleaux de fumée blanche et orangée labourent la surface de mon cerveau, tentative infructueuse de décapiter ma conscience ; pourtant cette intelligence semble indestructible, maintenant son intégrité, pour recevoir de nouveaux entrants et laisser éclore les captations sensitives multiples et parfois simultanées, à la surface de cette plaine désertique. Malgré l’aridité de cette terre, qu’aucune vie ne devrait pouvoir réinvestir, les idées bleues, fluides, filent entre les tertres incultivables pour former un réseau d’irrigation progressant rapidement afin de réhydrater le sol beige et sec, brûlant la plante de mes pieds.
Furinkazan
Juillet 2019
-
Fenêtre sur le Léman
-
La pureté
Découpe d’une arrête nasale parfaite, reflets cuivrés s’irisant avec la lumière révélatrice, qui exacerbe les contrastes de ses cheveux auburn, soulignant les inflexions opposées de chaque boucle.
La spontanéité cristalline de l’enfance, associée à la relative virginité de son registre d’expérience humaine interférent, pour l’œil inattentif, avec la reconnaissance de ce joyaux ambré et chaleureux, rarissime et extraordinaire à travers l’éventail des caractères portés par les hommes depuis les balbutiements de la conscience.
Cette pureté absolue résidant au sein de sa poitrine, transparait librement à travers deux grands yeux bruns, vannes animiques distribuant cette sincérité inaltérée à l’espace immédiat. Contamination instantanée des êtres récepteurs aux alentours.
Le bloc brut composant le noyau spirituel de cet enfant n’est pas épargné par l’assaut des émotions humaines ; au contraire, il les capte entièrement avec une perspicacité accrue. Cette matière centrale, terre malléable et vivante se déforme au contact des différents sentiments rencontrés, mais seulement certains semblent la marquer définitivement, déformations durables, qui contribueront à la construction de son être, unique et rare.
Sa texture est en fin de compte épargnée par l’égocentrisme, l’hypocrisie constitutionnelle et l’arrogance existentielle qui portent la majorité des actions et des aspirations propres aux membres de notre espèce. Seules restent inscrits dans la glaise de manière indélébile, l’empathie pour les êtres qui l’entourent, le souci d’intégrité et d’honnêteté envers elle-même et les autres, la considération égale et non intéressée pour chacun.
Cette sincérité blanche et étincelante englobe autant l’interlocuteur individuel réceptif, qu’elle pourrait fédérer la multitude, au son sincère et confiant de sa voix.
Furinkazan
June 2019
-
Grain
-
Colza
-
Révélation
Douze ans ; le ciel nuageux et le lac démonté s’assemblant en une coquille unique, fusion d’une base vert émeraude aux blanches écumes et d’une chape grise, bleue et violacée, colérique et turbulente. Cette vision impose son caractère immuable, grandiose, disproportionné. Le paysage peint par mille esprits se moque de nous, nargue notre insignifiance humaine, nous écrase littéralement en révélant notre modicité. L’astre tourne, indépendamment de nos existences, indifférent à nos destinées. Trop majestueux et dédaigneux se présente cette structure inaccessible, tour fortifiée, aux inégalités lisses, n’offrant aucune prise pour nos mains hagardes.
Miroir mouvant constitué par la fine couche d’eau accumulée temporairement entre deux mouvements de houle, sur la surface plane en pierre, délimitant la semelle de caoutchouc noir, encerclant progressivement mon pied, se fendant d’abord contre la proue de la chaussure, générant une vaguelette en sens opposé, puis longeant les flancs de ce navire éphémère et créant enfin un sillage paisible à sa proue.
La robe blanche du curé, présentant un entrecroisé macroscopique écru, ne signifie plus rien au sein de l’alcôve bleutée. Son sermon ne m’atteint plus, tente de pourlécher mes omoplates par cette matinée tardive et tumultueuse aux bords du Léman. Le message me semble soudain absurde, dérisoire, irréel. D’où peut venir la vérité, existe-t-elle seulement ? Toutes ces influences tournoient autour de mon être ; principes familiaux, préceptes religieux et normes sociales dévoilent finalement leur désuétude. Une voie singulière et émancipée doit exister ; comment emprunter ce chemin, où découvrir cette piste s’élevant doucement au loin, indépendamment des monstres normatifs dirigeant notre société, statues colossales aimantant ses individus pour réitérer toujours les mêmes schémas millénaires ?
Plus qu’une idée à mon esprit ; ne plus croire naïvement, me soustraire à ces empreintes en les intégrant dans la compréhension de l’univers, les considérant réelles sans les dogmatiser, détachant mon existence de ces liens, voyageant entre ces fourmilières à dômes, sans céder à l’appel de leurs habitants, mais en étant conscient de leur présence.
Le garçon à la veste verte, dont les cheveux châtains suffisamment longs dansent au rythme des bourrasques, clôt ses fines paupières, profitant d’un instant lumineux et chaleureux, offert par les rayons de soleil ayant perforé la couverture orageuse en un point unique et brillant.
Furinkazan
Mai 2019
Lac Léman en hiver
Eugène Grasset
Ca. 1900 -
Le temps
Je n’ai pas d’âge, juste des expériences laissant cette âme inchangée.
Furinkazan
Mai 2019
-
Reflets
-
La Musique aux Tuileries
Édouard Manet
1862
La rumeur semble identique, la température de l’atmosphère également. Cent cinquante ans séparent ces deux scènes, et pourtant de leur position côte à côte, elles se déplacent graduellement l’une en direction de l’autre, se superposant complétement et se fondant en une seule perception visuelle, unique et anachronique. Le regard des hommes, sérieux et en même temps scrutant les différents attroupements composés immanquablement de deux à quatre individus, recherchent une figure similaire, confirmant leur appartenance à cette faune humaine bigarrée.
Les façades roses ou beiges, la peinture coulant parfois sous forme de cônes glacés de printemps, la structure métallique immobile du wagon, en attente de départ pour la France, laissant transparaître des silhouettes mobiles aux traits imperceptibles à travers les vitres fumées, ont remplacé les feuillus aux verts horizontaux, constituant la partie supérieure de la toile.
Le point de ravitaillement occupe un tabouret de fer, semblable en consistance aux chaises délaissées au premier plan de la peinture, servant de reposoir pour un cerceau ou un chien portant inconsciemment le bleu frappant de ses maîtresses. La texture conique des cheveux du distributeur de palliatifs laisse apparaître les volutes tortueuses et parfois rapides s’échappant de la cigarette partagée. Une solitude intense perce les yeux globuleux mi ouverts et injectés. Une existence entière est contenue dans ce regard, un désenchantement définitif, immobilisant les mains lasses de cette âme déchue.
Des voix aux différentes langues se précisent parfois à travers le brouhaha, se distinguent nettement pendant quelques secondes, amenant des bribes de conversations identiques à celles échangées à l’abris des chênes et marronniers des Tuileries, aussi souvent émise pour la première fois, depuis la nuit des temps….
Les accoutrements divergent, soulignant pourtant les mêmes utilités. Les casquettes et bérets ont remplacé ces haute-formes, d’où naissent les troncs soutenant le parasol naturel constitué par les arbres. La lumière tiède et déclinante se mêle aux effluves éthyliques, aux senteurs de haschich, pour baigner quelques instants ces êtres de chair dans une illusion de communion pacifique, une pause artificielle dans leur existence maussade.
Ces communications éphémères s’interrompent l’une après l’autres, heurtant légèrement le sol comme une corde reliant les différents participants, s’affalant brusquement. Les enveloppes restent clouées dans le même périmètre, mais uniques et isolées, une masse de points distincts, sans plus aucune relation tangible les uns avec les autres.
Furinkazan
Avril 2019
-
Implosion
Les montagnes enneigées s’alimentent de ma force, intègrent mon énergie pour la détruire implicitement et complètement. Annihilation de mon souffle qui flotte juste devant ma bouche, se balance insensiblement devant moi, vit et périt juste après.
Mâchonnement de chewing-gum dans ce continuum entre un menton informe et un cou gras, surplombant deux joues flasques et pendant à moitié.
Consistance morne projetée par des yeux bleus indifférents, flottant de manière insignifiante, traînant à hauteur de ce regard vide, insipide et mort, vivant mais mort….
La mastication bovine se poursuit, malgré la fermeture de cette sacoche informe noire, faite de pétrole et compressée. Je reste dans une intimité partagée, une animalité spontanée et naturelle, sans jeux, sans hypocrisie.
Aspiration de la substance autour de moi, les mots du morceau entendu mangent ma quintessence, me signifient et font naître mon antagonisme. Les teintes de mon portrait se dissipent lentement, à fur et à mesure que mon image s’écoule au rythme du liquide ajouté par à-coup. Déformation progressive de mes traits, dilution de mon visage, maintenant informe et vulgaire, traînée incompréhensible. Les couleurs se mélangent, le bleu avec le brun et le blanc, filigrane horizontale hachuré.
Pas de destruction, juste une renaissance anéantie, avortée, irréelle. Réalité de la poire alternée, ombre projetée, corps éclairé par l’ampoule transparente, faisant apercevoir le fils incandescent de mon âme, orangée comme le sang, comme la glaise mélangée à la terre d’Afrique.
Furinkazan
Avril 2019
-
La neige
Les écouteurs insérés dans les conduits auditifs par la laine serrée du bonnet, déversent la voix éraillée de Brian Johnson dans mes oreilles : Thunderstruck. Les moins quinze degrés ont éliminé toute présence humaine. Les oiseaux, les traces fraîches d’animaux sauvages, toujours supputés mais jamais capturés, les branches souples des sapins ployant sous le les amas écrasant de cet or blanc et léger, dont l’éclat provoque déjà une vague électrique parcourant progressivement mon corps, pour s’intensifier et se rejoindre exactement au vertex de mon crâne. Réminiscence chimique quémandée par mes amygdales affamées. Le ventre immaculé de la pente se présentant en contre-bas, évoque la surface de la terre, unie, sans relief ou découpe géographique, une terre blanche, un sphère parfaite vu de l’espace.Le couloir bordé par les arbres serrés, seuls garants de la visibilité dans cet espace uniformément blanc, sans transition entre la surface de la neige et le ciel, m’aspire, me happe violemment ; impossible de résister à cette impulsion primaire.Un minime mouvement imprimé à la planche et déjà, mon corps tendu, agile, accélère rapidement avant esquisser le premier changement de direction, cisaillant la masse épaisse de neige, transmettant cette poussée jouissive à mes cuisses sous tension.Puis plus rien. Plus un être vivant, je n’existe même plus. Un silence ouateux et strident a remplacé la guitare électrique, seules restent les accélérations appliquées à mon corps par les virages rythmiques, à droite, à gauche, à droite, à gauche….Le moule froid immobilisant mes membres à l’instar d’une alcôve éternelle apaise mes muscles échauffés. Étendu dans la neige, mon être immobile se dilapide en une sensation de soulagement immense, englobe l’univers entiers qui se cristallise à travers les étoiles géométriques parfaites qui viennent doucement se déposer sur la surface irisée de mon masque.L’immobilité de mon regard, la douceur de l’atmosphère intimiste de la forêt, connectée au reste de l’univers par une brèche s’ouvrant à travers les cimes de sapins, permettant aux flocons silencieux de se frayer un chemin au cœur de l’abri formé par le bois, tampon m’isolant du mouvement frénétique régnant au sein de cet immense étang, dédié à la pisciculture humaine sauvage et effrénée. -
Départ vers la fin
-
Le Monstre
-
Gare routière
« … il existe une idée de Patrick Bateman, une espèce d’abstraction, mais il n’existe pas de moi réel, juste une entité, une chose illusoire et, bien que je puisse dissimuler mon regard glacé, mon regard fixe, bien que vous puissiez me serrer la main et sentir une chair qui étreint la vôtre, et peut-être même considérer que nous avons des styles de vie comparables, je ne suis tout simplement pas là. Signifier quelque chose ; voilà ce qui est difficile pour moi, à quelque niveau que ce soit. Je suis un moi-même préfabriqué, je suis une aberration. Un être non-contingent. Ma personnalité est une ébauche informe, mon opiniâtre absence profonde de cœur. Il y a longtemps que la conscience, la pitié, l’espoir m’ont quitté (à Harvard, probablement), s’ils ont jamais existé. Je n’ai plus de barrière à sauter. Tout ce qui me relie à la folie, à l’incontrôlable, au vice, au mal, toutes les violences commises dans la plus totale indifférence, tout cela est à présent loin derrière moi. Il me reste une seule, une sombre vérité : personne n’est à l’abri de rien, et rien n’est racheté. Je suis innocent, pourtant. Chaque type d’être humain doit bien avoir une certaine valeur, Le mal, est-ce une chose que l’on est ? Ou bien est-ce une chose que l’on fait? Ma douleur est constante, aiguë, je n’ai plus d’espoir en un monde meilleur. En réalité, je veux que ma douleur rejaillisse sur les autres. Je veux que personne n’y échappe. Mais une fois ceci avoué — ce que j’ai fait des milliers de fois, presque à chaque crime —, une fois face à face avec cette vérité, aucune rédemption pour moi. Aucune connaissance plus profonde de moi-même, aucune compréhension nouvelle à tirer de cet aveu. Je n’avais aucune raison de vous raconter tout cela. Cette confession ne veut rien dire…
… et dans le désert, au sud du Soudan, la chaleur monte en vagues lourdes, et des milliers, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants errent dans la brousse aride, cherchant désespérément, de quoi se nourrir. Ravagés, affamés, ils laissent un sillage de cadavres émaciés, et se nourrissent d’herbe sèche et de feuilles et de… nénuphars, titubant de village en village, mourant lentement, inexorablement ; un matin gris dans la disgrâce du désert, le sable qui vole, un enfant au visage de lune noire gît sur la terre, les doigts accrochés à son cou, et la poussière s’élève en cônes qui balaient le pays comme des tourbillons, le soleil est invisible, l’enfant couvert de sable, presque mort, les yeux fixes, reconnaissant (imaginez un instant un monde où quelqu’un puisse être reconnaissant de quelque chose) aux êtres hagards qui passent en colonne de ne pas se préoccuper de lui, de continuer, aveuglés, souffrant (non, il y en a unqui se retourne, qui voit l’enfant agoniser, et il sourit, comme s’il possédait un secret) et l’enfant ouvre et ferme silencieusement ses lèvres crevassées, craquelées, tandis qu’apparaît un car de ramassage scolaire, au loin, quelque part, et qu’ailleurs encore, au-dessus, dans l’espace, une porte s’ouvre, un esprit s’élève, qui demande « Pourquoi ? », offrant un logis pour les morts, l’infini, suspendu dans un vide, et le temps passe en boitillant, tandis que l’amour et la tristesse inondent le corps de l’enfant… »Refermant l’épais livre de Bret Easton Ellis, à la tranche brunie, je prends conscience de la chaleur de mi-journée, sous la bâche pétrole qui couvre l’arrière du petit camion bleu à l’arrêt, sensé nous transporter de Louang Namtha vers Muang Xai depuis déjà plusieurs heures. Le dégagement constituant la gare routière de ce hameau semble offrir un répit à nos corps, retenant l’humidité oppressante contenue dans la jungle, écrasant cette forteresse invisible, rageant de ne pouvoir se décharger littéralement dans cet espace, fracasser et dévorer tout ce qui repose sur le sol de terre rouge. Le vent soulève des vagues transparentes de teinte ocre s’opposant ostentatoirement à l’avalanche de chaleur humide encore contenue par les lianes quadrillant les murs verts de notre refuge.
Me levant, mon corps vacille imperceptiblement, le fond de la camionnette apparaît comme une fine latte de bois, s’étendant entre les deux extrémités de la place. Chaque fibre musculaire se contracte, une immédiatement après l’autre, afin d’assurer l’équilibre de mon être sur cette passerelle étroite et instable ; elle divise cet espace en deux sections identiques, images miroirs, jumelles composées des mêmes matières, des mêmes tonalités, des mêmes sonorités. Pourtant c’est une crête acérée et infiniment haute qui sépare ces deux mondes. Vers chacun je ressens une attraction invincible, aimantation vertigineuse happant les particules composant ma chair, écartèlement de mes membres, déchirement de mon être. La dualité de la scène est flagrante. Sur le côté gauche, une réalité factice, chargée de règles sociales régissant les interactions entre individus, dont le respect est obligatoire pour participer à cette mascarade reconnue comme la vérité, la face objective et tangible de l’existence humaine. Sur la droite, règne une atmosphère irréelle, pourtant en tout point identique à son pendant sur la gauche et le fait d’y plonger, de se répandre en son sein, signifierait une perte définitive de structure, de normalité, une dérive hectique dans les méandres de la folie, l’extraction définitive de l’âme hors du carcans préalablement construit et projeté sur une toile, par l’esprit grégaire de millions de vies.
Mon corps reste pourtant en équilibre entre ces deux univers, chancelant au gré du vent m’incitant tantôt à poser mes pieds sur la surface stable et rassurante de ce monde appréhensible, qui rassurerait mes cuisses fléchies lors de la descente à l’arrière du camion. De l’autre côté, la dérive définitive m’attend, englobe mon corps de ses extensions tentaculaires démesurées, m’emportant vers un monde de folie, une déréalisation, un étirement progressif de mon cerveau jusqu’à rupture du tissu cérébral, amas scindé en deux parts visqueuses, inertes, comme une grenadille divisée par son équateur, dont la chair jaunâtre s’écoule mollement sur le sable.
Un doute s’installe insidieusement ; aucune différence n’existe entre ces deux univers parallèles ? Leur consistance se révèle être précisément la même, les règles physiques et sociales régissent également les deux systèmes. Je décide donc de me maintenir sur cette ligne rouge centrale, le choix devenant obsolète. Je n’évoluerai dans aucun de ces paradigmes identiques et hypocrites ; je réside tout simplement ailleurs, et regrette l’inconscience habitant les individus qui nagent dans ces espaces, interagissant furtivement lorsque leurs trajectoires circulaires s’effleurent, devenant tangentes quelques instants.
Furinkazan 2019
-
Lumière papyracée
-
Rayures
-
Matrice chinoise
-
La béquille chimique
L’aube pointe, l’extrémité des brins d’herbe recouvrant le gazon délaissé est figée par les cristaux blancs formés par la rosée, immobilisée par un froid traversant ses membres déjà fatigués. Une lassitude immense envahit l’entier de ses prévisions pour la journée ; répétition quotidienne d’un schéma absurde, machinale érosion des semelles éprouvées sur cette asphalte parfaite et régulièrement aplanie par de grands rouleaux coûteux. La sangle en tissu de sa besace fend son être, déchire son épaule douloureuse.Sa pensée évite habilement les mouvements pendulaires de la langue monstrueuse qui se balance hors d’une bouche difforme et démesurée, les yeux de sa femme surplombant les déplacements de ce corps trop lent, tentant d’éviter le couperet humide, qui diviserait instantanément sa chaire en deux. La fuite est vaine, aucune issue, aucune route ne se dessinent sur ce paysage de terre rouge-orange, contrastant avec un ciel béton, constitué de volutes denses noires et grises, activité tumultueuse intense happant l’espace entre l’homme désespéré et son destin obtus. Une seule pensée surnage l’état de stress et d’anxiété intense ressentis, celle d’une anesthésie complète, d’une ivresse dissipant toute réalité de cette existence factice, aberrante. Oublier que l’on sait, que l’on est conscient qu’aucune raison, aucune décision, aucun rôle préalablement défini ne justifie notre présence en ce monde, la présence de cet être respirant, déféquant, se reproduisant. Cette entité est interchangeable, ce reflet observé par l’homme fatigué et mal rasé, sur la surface de sa pupille, semble unique, mais n’est nécessaire en aucune mesure à cet astre qui tourne irrémédiablement, à cette masse informe de congénères avec qui il survit.
La sensation de sécheresse buccale et le vide sensible enserrant son cerveau perdurent au matin et pourtant la mise en abime vespérale apparaît déjà comme une nécessité, une distance indispensable à la survie psychique de nos regards clairvoyants.
Après les désaccords répétitifs prévisibles, lorsque un nombre trop important de concurrents à l’individualité et l’égocentrisme interagissent ensembles, lorsque le sentiment d’aliénation est exacerbé par la fatigue physique, le remède artificiel émousse notre perception, endort toute afférence sensorielle, nous isole dans une bulle chaleureuse, une matrice protectrice et isolante, permettant de survivre jusqu’à la prochaine naissance, l’expulsion froide au monde, se répétant immanquablement chaque matin.
Ralentir la dérive inexorable vers un écran opaque, immatériel et en même temps indestructible, infranchissable, qui nous sépare du néant, espace antithétique en discontinuité avec cet univers vibrant, tangible et hautement instable qui nous héberge pour une période d’une durée aléatoire.
Soudain, la cascade de molécules psychoactives multicolores arrosant quotidiennement nos neurones, destinées à nous faire survire aux angoisses générées par la prise de conscience d’une condition humaine absurde, saturent leurs récepteurs et étouffent les attaques constantes de l’agitation interne et alentours. Les inflexions sonores du soleil déchirant ce ciel plombé et immobile, le souffle blanc du vent, les fluctuations thymiques et réflexions des individus nous entourant, le décryptage de milliers d’interactions entre les choses, entre les chose et les hommes et entre les hommes et les hommes, sont désormais accessibles. L’indifférence chimique aiguise parfois la perception émotionnelle.
Furinkazan
2019
-
Les corbeaux
Furinkazan
Villard 2018 -
Escaliers
-
L’animalerie
Les déplacements latéraux cycliques et irréguliers de la carlingue impriment une accélération horizontal lente, dont la direction imprévisible n’étonne plus, sur nos corps suspendus par des membres fléchis et las, agrippant les poignées de sécurité, qui, elles, dessinent un mouvement pendulaire autour de leur point d’attache au plafond du métro.
La taille de ces êtres est très variable ; les uns effilés et rasant de leur crâne rose les barres s’élançant au-dessus de nos têtes, parallèles au sol de notre vaisseau, vrombissant chaleureusement. Des silhouettes épaisses, trop maigres, plus petites, cylindriques, au jambes courte, écartées, serrées, régulières ou ondulantes, à l’abdomen bedonnant et aux hanches blanches tentant d’échapper à l’enserrement hideux du polyester verdâtres qui peine à les contenir.
Or, toujours la même texture morne, rosée et flasque, peau identique gommant les différentes morphologies. Le groin peut être allongé et délicat, ramassé comme un soufflet, les oreilles tombant comme de la pâte à gâteau encore crue, déchirées, relevées unilatéralement, percées, scarifiées, marquées au fer.
Des distinctions vestimentaires subtiles, de formes ou de couleurs pourrait nous permettre de différencier les voyageurs impassibles et blasés ; baskets blanche rétro équilibrant le caractère habillé de la combinaison vert clair, jurant avec la couleur pâle et universelle de cette enveloppe de chaire molle et duveteuse. Un élastique rose fluorescent habille le casque audio, retenant de longs cheveux auburn soyeux et parfumés, afin de se démarquer de ses milliers de semblables, qui ornent le chef de chaque pendulaire, sans exception.
Revêtir un T-shirt « Iron Maiden » comme ultime tentative de rappeler l’élan abortif de révolte qui faillit germer en l’adolescent qu’on a oublié, au son enivrant de la guitare électrique.
Or tous ces détails ne changent rien, ne modifient en rien le goût insipide de leur peau, l’atmosphère âcre s’échappant de leurs narines poilues. L’impassibilité de leur regard, porté par deux yeux noirs, comme dévorés par des pupilles trop grandes, reste complète, malgré la promiscuité de leur corps, comme si un fluide pouvait se transmettre d’un museau à l’autre, pour relier cette masse informe en une seule unité monstrueuse. Comme du bétail allant à l’abattoir, la vacuité totale de leur regard reflète leur ignorance profonde de la destination finale.
Ces porcs déguisés en êtres humains présentent tous les traits des animaux qu’ils ont eux-mêmes domestiqués ; l’instinct de survie, de procréation et de distribution des gènes, la faim et la récompense sous-tendent chacune de leurs actions, dirigent chaque geste et orientent chaque attention.
La complexité de leur pensée, la capacité d’abstraction propre à cette masse cérébrale unique sur la planète pourrait permettre une distanciation critique et une prise de conscience des émotions primaires dirigeant la plupart de nos agissements et justifiant nos comportements. Au contraire, la complexification de la pensée, son expression orale et écrite a contribué à la naissance d’une entité indépendante, spécifique à l’homme, la notion de pouvoir. Dépassant les instincts animaux de domination pour la survie, les concepts de prédominance et de d’asservissement de l’homme par ses congénères s’autonomisent, deviennent une fin en soi, en perdant peu à peu leurs attaches aux raisons primaires des comportement animaux inconscients, aussi cruels puissent-ils être parfois.
A défaut de nous permettre de prendre une certaine distance décisive par rapport aux pulsions animales qui nous animent, cette intelligence produit une entité hideuse et illégitime, s’alimentant d’elle-même, pour tout engouffrer et nous faire oublier notre identité d’être humain, notre vulnérabilité au sein de notre espèce, le respect des autres existences.
-
Ponny
Furinkazan
2018 -
Etat d’esprit
Furinkazan
Automne 2018 -
La prison
Le décor est posé autour de moi. Le ciel offre un bleu limpide, se découpant avec netteté du reste des composantes de la scène mouvante. Des passants, partageant finalement les mêmes accoutrements avec des variations factices de formes et de couleurs, évoluent de manière complètement indépendante les uns des autres, comme des entités matérielles perceptibles et vide en même temps, les lignes du visage aspirées par le quadrilatère lumineux intégré dans leur paume.
Quelle que soit la direction explorée par mon regard, il retrouve matière, activité, fluctuation et inflexion de la qualité et des teintes que revêt successivement l’atmosphère remplissant chaque millimètre cube d’air m’entourant. Pas de brèche visible dans ce globe semblant me contenir, pas d’échappatoire, de faille à suivre pour se soustraire à cet instant, à cette réalité trop précise, trop aiguisée. Chaque feuille d’arbre, rouge, jaune, orange se découpe implacablement du ciel, comme ciselée dans un canevas étincellent, suspendu en arrière-plan. Les rayons du soleil irradient au sein de cet espace, comme à travers un prisme, parfois parallèles, parfois s’entrecroisant, certains naissant après la disparition de leurs prédécesseurs. Le trajet de ces radiations semble ponctuellement infléchi, détourné de manière imperceptible, par une structure réticulaire translucide, invisible à mes yeux.
Si je pouvais voir, je découvrirais une toile d’araignée géante, faite d’une substance transparente, élastique et visqueuse, s’étendant comme des banderoles plastiques, certaines fuyant vers l’espace, les autres quadrillant le paysage horizontalement. Toutes sont reliées, par des ponts gluants, formant un système étroit, organisé, ubiquitaire, dont le maillage serré contrôle chaque déplacement de matière solide, gazeuse ou liquide, de même que la progression de toute pensée, de tout élan intérieur. La réalité physique et chimique m’apparaît cristalline, absolument conforme à sa nature propre et originelle, le matériau primaire, l’identité profonde et non jouée des êtres m’entourant se lit simplement à travers leurs entrailles béantes.
Pourtant, la transcendance de cette armature molle figeant cet univers reste complète ; je ne suspecte même pas l’existence d’une telle prison indiscernable, d’une geôle éternelle me condamnant à une incarcération inconsciente. Des lignes transparentes conduisent et limitent chacun de mes déplacements, mon esprit se déplace sur des rails invisibles, assurant l’impossibilité de sortir du schéma établi par ce carcans.
Cette cage est définitivement générée, enfantée par mon esprit vicié et totalement naïf. L’emprisonnement dont je fais l’objet est une pure production de mon intellect, n’existe qu’à travers moi. J’apparais comme le cerbère de ma propre captivité, le garde et le bagnard ne font qu’un. Pourtant je l’ignore et me débats contre mon propre tortionnaire, cette intelligence contaminée et déformée, épuisant mes bras tétanisés par l’effort permanant.
La lecture des informations semble difficile, leur interprétation plus complexifiée que pour les autres acteurs de ces scènes. Exténuation lente, irrémédiable et inévitable de mon âme encastrée par l’étau de ma lucidité…
-
La piscine
J’aperçois le cuir chevelu clair de mon fils, pointer de manière rythmique à la surface de l’eau bleue chlore, quelques centimètres émergent, laissant apparaître ses yeux protégés par des lunettes aux bordures plastiques orange quasi fluorescent, puis la tête de ce submersible replonge immédiatement, après avoir rapidement chargé ses poumons d’air. A chaque fois, une peur m’étreint ; s’essouffle-t-il ? Cherche-t-il désespérément à regagner la surface, ce que ne lui permet sa brasse inefficace ?
Puis soudainement je comprends, je me souviens parfaitement…cette sensation exaltante du déplacement vertical lent de mon corps, dans une eau un peu plus profonde que ma hauteur, sentant le frottement des fluides contre ma peau, d’abord dirigé vers le haut lors de ma descente ralentie, puis vers le bas après avoir rebondi sur un court contact de la pointe de mon pied avec les catelles au fond du bassin, dirigeant ma bouche vers la surface afin de reprendre brièvement mon souffle. Puis je redescends, mouvement identique au précédent, conforme à la prochaine ascension ; processus pendulaire qui pourrait bien être perpétuel, perdurer sans plus aucun besoin de commande, naturel, automatisé et inconscient. Il ne reste que le silence apaisant de l’eau, cette masse liquide lourde et dense mais contenue dans le bassin dont je connais les limites, faisant le tampon avec le monde extérieur, isolant mon corps mais également mes pensées ; je perçois uniquement le murmure récurrent et régulier des bulles d’air courant régulièrement sur ma peau, en remontant à la surface, relâchées de manière rythmique par mes poumons, métronomes des oscillations de mon centre de gravité.
Je reconnais cet apaisement chez ce jeune garçon, ce soulagement identique à celui généré chez l’enfant que j’étais, il y a de nombreuses années, par l’isolement réconfortant offert par ces longues heures de jeux dans le bassin. Plus rien d’extérieur n’existe, l’univers entier, avec son caractère à la fois immense et intimidant, la nature totalement étrangère du ciel large qui nous aliène, est maintenu à distance et ne peut d’aucune manière nous atteindre, nous annihiler sous son poids infini, remettre en question la perception de notre existence propre par son indifférence totale et immuable.
Il est seul, comme moi, et pourtant réconforté dans cet isolement temporaire….
Furinkazan
Novembre 2018
-
Chopin
Des visages tel des masques, l’épaisse couche de fard orangé s’insinuant jusqu’au fond des ridules, les révélant malgré l’intention des mains déterminées, parcourues de veines bleues et d’imposant bijoux qui se sont affairées devant les miroirs endormis de ce dimanche matin. Les boucles noires jet rebondies et étincelantes, trop saines et choyées, suivent les mouvements prédéfinis de la tête, les mimiques enregistrées de ce modèle de femme, programmées pour cette vie irréelle, dansante sur une mélodie s’estompant lentement au loin, s’amenuisant progressivement pour n’exister plus que sous forme de reliquat, écho d’une époque lointaine et si contemporaine, réinjectée en ces corps vivant pendant deux heures dans cette salle trop grande.
J’attends les notes de musiques, scrutant le ventre béant du piano me faisant face. Les différent traits et les subtilités de teinte des visages que j’observe ne trahissent pas les origines géographiques des spectateurs, ils s’effacent lentement, coulent sur le tapis persan pour laisser apparaître la même face impassible, en papier mâché, grise et triste, ou des yeux, une bouche et un nez sont dessinés à l’encre noire. L’expression peinte sur ces faciès de manière absolument identique incarne l’unique et même fatuité ; finesse et subtilité de la matière artistique, ne touchant qu’une partie infime des âmes humaines, celle dont nous faisons partie, cette élite éduquée, différentiée et jouissant de plaisirs immensément plus délicat que le reste des simples gens. Mais nous siégeons là, immobiles et complétement passifs, traversé par l’air matériel, qui nous lave de toute conscience de soi, de toute prise de distance qui révélerait notre être à nos yeux, ferait éclater l’absurdité de ce corps las, tout en chaire avachie sur une chaise recouverte de velours pourpre.
Puis sans remarquer le mouvement des mains masquées par le pupitre, les cordes vibres et tentent de projeter des notes hors de l’antre de l’instrument, sons qui se déplacent poussivement vers nos oreilles, retenus par une atmosphère trop dense, lourde figée. Les inflexions sonores ne parviennent pas à se différentier, elles restent en dessous, groupées, loin de la légèreté, du caractère pur et limpide des tonalités issues de ces enregistrements musicaux parfait, connus et attendus.
Après une sensation d’agression tympanique, proche de la douleur, la forme même de la mélodie s’estompe imperceptiblement, me laissant embrasser une certaine torpeur, sans sommeil, permettant d’accéder au flux musical, de m’y agripper et de voyager, ne ressentant plus que les saillies osseuses de mon enfant se mouvant sur mes genoux.
Les mains de cet être minuscule déforment la cornée d’un œil féminin vert noir, comme les pieds de ma fille déformant progressivement la surface du ventre maternel, ses jambes s’étendant paresseusement. Puis ma copie miniature, perfore l’organe vitré, avec un jaillissement d’humeur aqueuse, plus visqueuse, se répandant dans un autre liquide qui remplit les cavités de mon propre cerveau, contenant cet œil magnifique, aux longs cils courbés. Mon modèle réduit, bien plus svelte et filiforme, ressemblant à un combattant justicier de Manga, nage gracieusement au sein de l’immense cavité ventriculaire. Ses cheveux battent au rythme de mon cœur, transmis au liquide par les circonvolutions cérébrales pulsatiles qui m’entourent, démarquées les unes des autres par de fin vaisseaux rouges luminescents et translucides. Je me déplace au sein de mon propre crâne, captant des lumières arquées, bleues, violètes, vertes, irisées et apaisantes. Je nagerai éternellement dans ce milieu chaleureux et protecteur, au rythme de chaque note s’élevant de la partition, transcendé par les contretemps parfais réalisés par Frédéric Chopin. Je ne reviendrai plus, restant à me nourrir uniquement de sensation auditive, d’ondulations liquidiennes et de lumières naissant et disparaissant successivement à l’horizon.
Furinkazan
Octobre 2018
-
Bénarès
Un air épicé et lourd, attaquant la surface de ma peau, étouffant les gouttes de sueur qui tentent de laisser échapper la chaleur intense prisonnière de cette enveloppe charnelle indissociable du paysage lucide et aigu s’offrant à mon regard depuis le balcon d’un café.
Un brouhaha constant, sourd, presque indistinct, intégré à l’ensemble des perceptions m’assaillant. Une densité humaine inégalée, une continuité de peaux halées se déversant dans l’artère principale, comblant le moindre espace inoccupé par de la matière inanimée, infiltrant chaque ruelle, chaque devanture d’échoppe, pourrait générer une anxiété extrême, pour un agoraphobe cherchant un centimètre carré de dégagement, de non humain, criant, transpirant, déféquant. Mon corps est comprimé par cette marée palpitante, et malgré tout, je me sens irrémédiablement happé à distance, le processus d’extraction m’interdisant à nouveau de faire partie de la scène qui se déroule devant moi, la rendant irréelle, comme une pure production de l’esprit. Je me sens pourtant si semblable à ces êtres respirant, aussi vulnérable, la matière nous constituant étant la même; mais je reste interdit, je n’ai pas le droit de participer, de vivre cet instant. Je peux observer l’action, l’activité de ces milliers d’êtres minuscules, grouillant, comme enfermés dans un cube de plexiglas, posé à mes pieds. J’aimerais rentrer, intégré cette mascarade sans arrière-pensée, sans considération aucune, me laissant porter par le flux, persuadé d’être vivant.
Pour fuir ce sentiment insupportable engendrant une solitude délirante, j’erre à travers les ruelles de cette ville trop colorée, qui offre des odeurs donnant le vertige, allant d’un émerveillement olfactif primitif, passant devant les étalages d’épices jamais même rencontrés, à une nausée viscérale liée à l’odeur des selles remontant du fleuve, odeur portée par la fumée fétide s’émanant des cadavres se consumant dans les crématoires à ciel ouvert.
La chambre de mon auberge de jeunesse, dernier refuge contre l’agression vitale de l’extérieur. Pourtant le sentiment nauséabond ne me quitte pas, l’humidité extrême et dense lui permet de ruisseler contre les murs obscures de cette pièce minuscule, éclairée par une simple lucarne me portant les bruits de la rue. C’est un déversement de liquide épais et noir comme le pétrole, qui encercle lentement le corps d’un colocataire, jeune anglais voyageant seul et désirant également réduire les frais de logement. Or il ne remarque rien, continue à lire son roman de gare, allongé sur sa couche, se faisant lentement ensevelir sous cette roche volcanique mouvante. Je sors, le laissant à sa lecture, à sa vie pleine, justifiée, l’enviant certainement.
Furinkazan
Juillet 2018
-
Amsterdam Navigator 8.0%
Une casquette bleue, la visière visée en arrière, un sweat-shirt vert à capuche, des shorts trois couleurs gris et une paire de baskets jaunes-fluo. Un après-midi soutenu à mi-hauteur du temps par le bruit des machines de chantier invisibles mais proches, les discours lointains et irréels, en dialecte germanique tantôt chantonnant, parfois rêche et abrupte, le vent oscillant déchargeant instantanément la surcharge de chaleur apportée par le soleil omniprésent, quelle que soit la direction scrutée. Une discrépance flagrante entre le style vestimentaire multicolore émergeant d’une époque qui n’a jamais existée, la silhouette signifiée uniquement par la rondeur de l’abdomen saillant sous le vêtement trop étriqué et l’âge présumé du personnage, dépeint ce être approchant les cinquante ans.
Je reconnais immédiatement son état d’esprit, balançant le poids de son corps usé d’une jambe à l’autre, irrégulièrement, comme un métronome dysfonctionnant, malgré l’absence de musique. Cette gaieté hyperactive et éphémère m’a gagnée des dizaines, voire des centaines de fois, émergeant ponctuellement à un intervalle régulier de l’ingurgitation du nectar, irrémédiablement, déposant sur mon visage un sourire radieux et sur mon moral l’impression que tout est possible, que je pourrai diriger un pays demain, succomber à des amours inexistantes et résister à la réalité crue de l’existence, qui se projette avec force contre les portes de mon esprit, comme un bélier impassible et immensément lourd, afin d’en faire rompre les celés et de permettre à cette marée nauséabonde et portant les restes de l’humanité, de se déverser en moi.
Mais pour l’instant, il s’en fout, se délecte de l’air ensoleillé en consommant rapidement sa canette rouge et pensant à l’héroïne dans sa poche, il découpe une énième prolongation d’un état de grâce, annihilant toute réalité, se détournant encore une fois des ombres à forme humaine, l’attendant depuis des années, derrière cette porte, l’attendant pour lui rappeler son absurdité et chaque plus petit mensonge qu’il a nourri envers lui-même depuis qu’il a pris conscience de son incapacité à vivre, du vide béant emplissant son être, et de l’absence totale en lui des édifices représentant les valeurs qui semblent constituer et légitimer l’existence de la majeur partie des individus ayant vu le jour.
Un matériau invisible, intangible, traversant de part en part la poitrine des gens, élevant des hordes de corps, qui survolent le sol, inanimés, les bras ballant et les pieds traînant par terre, se déplaçant, alignés, le regard éteint, le faciès figé ne permettant plus de différentier chaque individualité, comme des millions de fourmis indiscernables les unes des autres. Puis il y a lui, avec ses habits colorés, assis par terre au bord du cortège soulevant des nuages de poussière, les jambes repliées sur le côté droit, regardant de manière hébétée cette procession à laquelle il n’appartient pas, à laquelle il ne comprend rien, ne comprendra jamais rien, à laquelle il ne pourra jamais appartenir, même si son seul désire et sa plus grande humiliation serait de tout sacrifier pour intégrer cette colonne de spectres, anesthésiant son esprit, rentrant en hibernation, loin de toute espèce d’activité mentale, vers un néant apaisant.
Furinkazan
Juin 2018
-
Inaltération
Un sourire, un film rose se dépose brièvement sur ses joues ambrées. Deux yeux en amande animés tourbillonnent derrière les verres portés par de larges montures, puis semblent se fixer dans le vague, pour laisser jaillir un magma d’émotions, turquoises, jaunes, violettes, virevoltant devant la jeune femme, portées par des phrases dont les mots disparaissent, futiles. L’énergie immense et sincère des sentiments prenant son origine au cœur même de cet être, sans aucune transformation, sans aucun maquillage généralement imposé par les codes de communication, un sentiment condescendant de gêne pointe sous la surface lissée et impassible de certains interlocuteurs, alors que je me délecte de découvrir une source pure et limpide se déversant sainement hors d’un esprit entièrement ouvert aux milliers de stimuli environnants. Cette sincérité brute m’emplit immédiatement d’un sentiment de soulagement, une onde apaisante parcourt mon corps, de la racine de mes membres jusqu’aux extrémités, accompagné d’un picotement agréable et chaud. Je ne perçois aucune altération du flux de vie transmis, une pureté exempte de poussière, qui pourraient imperceptiblement salir cette énergie tangible suspendue devant ses mains, distordant subtilement l’atmosphère, comme l’image ondulante s’évaporant de l’asphalte chaude.
Furinkazan
Juin 2018
-
La surface
J’observe mon personnage, flânant entre les colonnes bordant une des places qui s’enchainent au long de ma promenade, par une agréable journée de septembre, encore chaude, où touristes, jeunes mères apprêtées et épuisées ou étudiants trentenaires offrent chaque pore de leur peau déjà blême à la chaleur solaire, les photons s’écrasant en dessous de la surface pour disparaître en une agréable sensation de picotement. La projection du film se fait de manière discrètement saccadée, à l’instar des images produites par les bobines du temps de l’enfance de nos parents, sur un pan de mur blanc immaculé, sans aucune irrégularité, une surface ne paraissant pas de confection humaine, mais ayant existé depuis toujours, monolithe immuable, précédant même la naissance de notre planète…
Je détecte soudainement une fêlure, d’abord invisible, puis nette, infiniment étroite, déchirant insidieusement et douloureusement la dalle d’abord parfaite, qui sert d’écran pour la projection de ces scènes chaque fois uniques au travers de mon existence et pourtant jouées et répétées silencieusement des milliards de fois dans mon esprit et dans celui d’autres êtres esseulés et errants à travers la capitale.
Les deux aires ainsi générées par cette brèche montrent également une différence de niveau, imprimant une fracture, une discontinuité imperceptible dans les lignes composant les images de ma vie, qui continuent à défiler sur l’écran. Cette infime altération semble en fait présente dès l’origine, depuis la première projection, et même avant…provoquant un décalage, un écart niant d’un seul coup l’essence de ces expériences, annihilant l’harmonie et la signification rassurante que pourraient avoir ces images…Une distorsion immuable de ma perception, un filtre malin et destructeur s’est déposé sur mes cornées…
Furinkazan
Avril 2018
-
Un bar
Le son d’une voix barbue couvrant partiellement les notes volontairement asynchrones du violon de Ginette, berçant la lente et pourtant si prédictible progression des lames enivrantes du houblon de ma bière, esseulée. L’asymétrie de l’existence projetée sur la toile qui se présente à moi. La courbure des balcons saumon, le contraste pastel du ciel bleu, alternant avec le dégradé gris des nuages s’étendant langoureusement sur ces 20 degrés de mois d’avril. Le vert des marronniers rampant le long des façades si bien connues par mon souvenir, ce crépit typique de notre ville intemporelle. Tout me ramène à mon incohérence ; la démarche légèrement spastique de la jeune femme qui tente de l’intégrer à une image plausible, à une unité banale qui la laissera survivre et évoluer au sein de ses congénères. Les mouvements répétés et stéréotypé de l’homme sans âge qui me fait face à la table voisine, étreint entre une biologie inflexible dépendant des habitudes de vie et une accordance certaine avec les signes nécessaires de reconnaissance stylistiques et vestimentaires de son époque. Caressant la poche de son sac à dos, adossé à ces pieds, la table le protégeant des regards indiscrets, qui pourraient tenter de décomposer cette manie, évoquant une sortie canalisée de toute les tensions de son esprit, comme si la somme des flux nerveux se propageant à la surface de sa peau se concentraient et s’engouffraient à travers une seule et unique porte de sortie devenant lumineux sous forme de petits éclairs bleus, courant jusqu’à la surface tissée noir de son bagage.
L’ondulation ponctuelle de la frange d’un store replié me signifie les variations de l’air, portant également le linge étendu au deuxième étage du bâtiment jouxtant le bar où j’ai établi résidence, en compagnie de mon éternel et mécanique ami, MacBook pro 15 pouce avec son écran retina quotidien, ou même parfois horaire.Furinkazan
Août 2017
-
I’m a neurological surgeon
-
Une force
Aujourd’hui, un homme m’a rappelé à moi-même. Sa condition fragile a réanimé en lui une fibre de vie, saillante, indestructible, s’élevant sans fléchir, insatiablement vers le haut, le ciel, l’avenir, l’avant, en direction de la proue de ce navire en dérive, vers le large. L’élan originel, pur à nouveau, après l’effacement de de tout cynisme recouvrant notre expérience déjà trop vielle et malade, cette énergie de vie naissante et encore innocente des vicissitudes abrasives tournoyant autour de nos êtres afin de les réduire à néant, cette force s’est frayée un chemin à travers ses mots brillants et trébuchants. J’ai reconnu un sentiment oublié depuis longtemps, enfoui au fond de mon être, à l’instar d’un foyer incandescent étouffé, depuis des années, manquant d’oxygène ; cette certitude de pouvoir influer le cours des événements, même de façon minime et temporaire, dans une direction parallèle aux valeurs de vie qui résonnent au fond de nous, s’est matérialisée à travers son sourire, sincère et serin. Diriger son énergie, son temps, investir des efforts extraordinaires dans une réalisation ardue, au détriment parfois d’une facilité factice, afin de contribuer à l’élévation des valeurs même qui constituent notre identité, pierres angulaires qui participeront à l’édification des fondements même de l’âme de nos enfants, qui voguera ensuite d’elle-même au grès de leurs traits de caractère et expériences de vie. Ils sauront retrouver ces assises en tout temps, s’y ferrer afin de résister aux courants de vie ; elles auront le caractère rassurant d’une vielle connaissance, réconfortant d’un foyer accueillant, leur permettant de reprendre leur voyage en confiance et avec sérénité. L’oubli de cette impulsion élémentaire et constitutionnelle au profit d’une attitude résignée, pusillanime, aigrie et désillusionnée n’est pas envisageable.Furinkazan
Juillet 2017
-
A$AP
Always $trive And Prosper
-
Fear can be expelled with knowledge
-
28 ans
La mort d’un jeune homme. Pas si proche. Salué à plusieurs reprises, un moment partagé pour jouer au basket, de nombreuses occasions de mieux se connaître, et rien, pas d’échange réel. Puis cette nouvelle bouleversante et un peu irréel, d’une maladie que je sais incurable, plus ou moins rapide, douloureuse et si rare à cet âge. Ma tristesse et considération sont sincères, mais transposées à un être potentiel, à l’éventualité d’un tel événement dans ma famille proche, mon jeune frère, mes amis, mes frères. J’essaie sans fin de me représenter, de retracer les différentes phases qu’il a du traverser, or ces émotions restent transcendantes, absolument inatteignable pour un être un bonne santé, comme moi. Ces jeunes hommes et femmes, souffrent, leur peau est fine et transparente, certains n’ont même pas le temps de réaliser pleinement qu’ils vont mourir, et s’éteignent avant. Ils sont là, juste à côté de moi, et je ne parviens pas à les voir. Une distance étrange m’empêche de comprendre réellement. Et pourtant, les larmes coulant sur les joues barbues de ses amis, la voix tressaillant et tentant de prononcer quelques paroles vaines dans ce moment absolument tragique, l’immensité du ciel où virevoltent trois oiseaux noirs, le silence sourd et épais, couvert par le bruits de la terre sur le cercueil, l’autoroute au loin et les gazouillis, tentent d’extirper des pleurs, chauds et incontrôlables, du fond de ma poitrine, comme des ombres de mains acérées, plongeant dans ma gorge, en direction de mon cœur.Puis subitement une envie irrésistible de figer le temps, de s’extraire du flux d’images et de sons quelques heures…Furinkazan
Octobre 2011
-
Ingérences
Le concept de non ingérence dans un pays tiers disparaît devant le meurtre de ses enfants, le viol de sa femme et l’humiliation par la torture, car les souffrances engendrées sont les mêmes pour chaque homme, quelle que soit sa couleur, sa culture, sa religion ou son âge.Certains actes ne peuvent donc être tolérés, malgré tous les discours de respect des civilisations différentes, les lois internationales de non interventionnisme et les intérêts économiques et politiques : l’unique sentiment d’intégrité envers soi-même et la reconnaissance de sa personne en tant que être humain nous permettent de ressentir également ces douleurs fondamentales et universelles et justifient l’action.Furinkazan
Octobre 2011