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  • Furinkazan,  Textes

    Bénarès

    Un air épicé et lourd, attaquant la surface de ma peau, étouffant les gouttes de sueur qui tentent de laisser échapper la chaleur intense prisonnière de cette enveloppe charnelle indissociable du paysage lucide et aigu s’offrant à mon regard depuis le balcon d’un café.

    Un brouhaha constant, sourd, presque indistinct, intégré à l’ensemble des perceptions m’assaillant. Une densité humaine inégalée, une continuité de peaux halées se déversant dans l’artère principale, comblant le moindre espace inoccupé par de la matière inanimée, infiltrant chaque ruelle, chaque devanture d’échoppe, pourrait générer une anxiété extrême, pour un agoraphobe cherchant un centimètre carré de dégagement, de non humain, criant, transpirant, déféquant. Mon corps est comprimé par cette marée palpitante, et malgré tout, je me sens irrémédiablement happé à distance, le processus d’extraction m’interdisant à nouveau de faire partie de la scène qui se déroule devant moi, la rendant irréelle, comme une pure production de l’esprit. Je me sens pourtant si semblable à ces êtres respirant, aussi vulnérable, la matière nous constituant étant la même; mais je reste interdit, je n’ai pas le droit de participer, de vivre cet instant. Je peux observer l’action, l’activité de ces milliers d’êtres minuscules, grouillant, comme enfermés dans un cube de plexiglas, posé à mes pieds. J’aimerais rentrer, intégré cette mascarade sans arrière-pensée, sans considération aucune, me laissant porter par le flux, persuadé d’être vivant.

    Pour fuir ce sentiment insupportable engendrant une solitude délirante, j’erre à travers les ruelles de cette ville trop colorée, qui offre des odeurs donnant le vertige, allant d’un émerveillement olfactif primitif, passant devant les étalages d’épices jamais même rencontrés, à une nausée viscérale liée à l’odeur des selles remontant du fleuve, odeur portée par la fumée fétide s’émanant des cadavres se consumant dans les crématoires à ciel ouvert.

    La chambre de mon auberge de jeunesse, dernier refuge contre l’agression vitale de l’extérieur. Pourtant le sentiment nauséabond ne me quitte pas, l’humidité extrême et dense lui permet de ruisseler contre les murs obscures de cette pièce minuscule, éclairée par une simple lucarne me portant les bruits de la rue. C’est un déversement de liquide épais et noir comme le pétrole, qui encercle lentement le corps d’un colocataire, jeune anglais voyageant seul et désirant également réduire les frais de logement. Or il ne remarque rien, continue à lire son roman de gare, allongé sur sa couche, se faisant lentement ensevelir sous cette roche volcanique mouvante. Je sors, le laissant à sa lecture, à sa vie pleine, justifiée, l’enviant certainement.

    Furinkazan

    Juillet 2018

  • Auteurs,  Textes

    Tout existant naît sans raison, se prolonge par faiblesse et meurt par rencontre

    “Le docteur a de l’expérience. C’est un professionnel de l’expérience : les médecins, les prêtres, les magistrats et les officiers connaissent l’homme comme s’ils l’avaient fait. Seulement voilà, on m’a trop embêté avec ça dans ma jeunesse. Je n’étais pourtant pas d’une famille de professionnels. Mais il y a aussi des amateurs. Ce sont les secrétaires, les employés, les commerçants, ceux qui écoutent les autres au café : ils se sentent gonflés, aux approches de la quarantaine, d’une expérience qu’ils ne peuvent pas écouler au-dehors. Heureusement ils ont fait des enfants et ils les obligent à la consommer sur place. Ils voudraient nous faire croire que leur passé n’est pas perdu, que leurs souvenirs se sont condensés, moelleusement convertis en Sagesse.”

    “Ma pensée, c’est moi : voilà pourquoi je ne peux pas m’arrêter. J’existe parce que je pense… et je ne peux pas m’empêcher de penser. En ce moment même – c’est affreux – si j’existe, c’est parce que j’ai horreur d’exister. C’est moi, c’est moi qui me tire du néant auquel j’aspire : la haine, le dégoût d’exister, ce sont autant de manières de me faire exister, de m’enfoncer dans l’existence. Les pensées naissent par-derrière moi comme un vertige, je les sens naître derrière ma tête… si je cède, elles vont venir là devant, entre mes yeux – et je cède toujours, la pensée grossit, grossit et la voilà, l’immense, qui me remplit tout entier et renouvelle mon existence.”

    “Il a la Légion d’honneur, les Salauds ont le droit d’exister : « J’existe parce que c’est mon droit. » J’ai le droit d’exister, donc j’ai le droit de ne pas penser : le doigt se lève. Est-ce que je vais…? caresser dans l’épanouissement des draps blancs la chair blanche épanouie qui retombe douce, toucher les moiteurs fleuries des aisselles, les élixirs et les liqueurs et les florescences de la chair, entrer dans l’existence de l’autre, dans les muqueuses rouges à la lourde, douce, douce odeur d’existence, me sentir exister entre les douces lèvres mouillées, les lèvres rouges de sang pâle, les lèvres palpitantes qui bâillent toutes mouillées d’existence, toutes mouillées d’un pus clair, entre les lèvres mouillées sucrées qui larmoient comme des yeux ? Mon corps de chair qui vit, la chair qui grouille et tourne doucement liqueurs, qui tourne crème, la chair qui tourne, tourne, tourne, l’eau douce et sucrée de ma chair, le sang de ma main, j’ai mal, doux à ma chair meurtrie qui tourne marche, je marche, je fuis, je suis un ignoble individu à la chair meurtrie, meurtrie d’existence à ces murs. J’ai froid, je fais un pas, j’ai froid, un pas, je tourne à gauche, il tourne à gauche, il pense qu’il tourne à gauche, fou, suis-je fou ? Il dit qu’il a peur d’être fou, l’existence, vois-tu petit dans l’existence, il s’arrête, le corps s’arrête, il pense qu’il s’arrête, d’où vient-il ? Que fait-il ? Il repart, il a peur, très peur, ignoble individu, le désir comme une brume, le désir, le dégoût, il dit qu’il est dégoûté d’exister, est-il dégoûté ? fatigué de dégoûté d’exister. Il court. Qu’espère-t-il ? Il court se fuir, se jeter dans le bassin ? Il court, le cœur, le cœur qui bat c’est une fête. Le cœur existe, les jambes existent, le souffle existe, ils existent courant, soufflant, battant tout mou, tout doux s’essouffle, m’essouffle, il dit qu’il s’essouffle : l’existence prend mes pensées par-derrière et doucement les épanouit par derrière ; on me prend par-derrière, on me force par-derrière de penser, donc d’être quelque chose, derrière moi qui souffle en légères bulles d’existence, il est bulle de brume de désir, il est pâle dans la glace comme un mort, Rollebon est mort, Antoine Roquentin n’est pas mort, m’évanouir : il dit qu’il voudrait s’évanouir, il court, il court le furet (par-derrière) par-derrière par-derrière, la petite Lucienne assaillie par-derrière violée par l’existence par-derrière, il demande grâce, il a honte de demander grâce, pitié, au secours, au secours donc j’existe, il entre au Bar de la Marine, les petites glaces du petit bordel, il est pâle dans les petites glaces du petit bordel le grand roux mou qui se laisse tomber sur la banquette, le pick-up joue, existe, tout tourne, existe le pick-up, le cœur bat : tournez, tournez liqueurs de la vie, tournez gelées, sirops de ma chair, douceurs… le pick-up.”

    “Je ne peux pas dire que je me sente allégé ni content ; au contraire, ça m’écrase. Seulement mon but est atteint : je sais ce que je voulais savoir ; tout ce qui m’est arrivé depuis le mois de janvier, je l’ai compris. La Nausée ne m’a pas quitté et je ne crois pas qu’elle me quittera de sitôt ; mais je ne la subis plus, ce n’est plus une maladie ni une quinte passagère : c’est moi. Donc j’étais tout à l’heure au Jardin public. La racine du marronnier s’enfonçait dans la terre, juste au-dessous de mon banc. Je ne me rappelais plus que c’était une racine. Les mots s’étaient évanouis et, avec eux, la signification des choses, leurs modes d’emploi, les faibles repères que les hommes ont tracés à leur surface. J’étais assis, un peu voûté, la tête basse, seul en face de cette masse noire et noueuse, entièrement brute et qui me faisait peur. Et puis j’ai eu cette illumination. Ça m’a coupé le souffle. Jamais, avant ces derniers jours, je n’avais pressenti ce que voulait dire « exister ». J’étais comme les autres, comme ceux qui se promènent au bord de la mer dans leurs habits de printemps. Je disais comme eux « la mer est verte ; ce point blanc, là-haut, c’est une mouette », mais je ne sentais pas que ça existait, que la mouette était une « mouette-existante » ; à l’ordinaire l’existence se cache. Elle est là, autour de nous, en nous, elle est nous, on ne peut pas dire deux mots sans parler d’elle et, finalement, on ne la touche pas. Quand je croyais y penser, il faut croire que je ne pensais rien, j’avais la tête vide, ou tout juste un mot dans la tête, le mot « être ». Ou alors, je pensais… comment dire ? Je pensais l’appartenance, je me disais que la mer appartenait à la classe des objets verts ou que le vert faisait partie des qualités de la mer. Même quand je regardais les choses, j’étais à cent lieues de songer qu’elles existaient : elles m’apparaissaient comme un décor. Je les prenais dans mes mains, elles me servaient d’outils, je prévoyais leurs résistances. Mais tout ça se passait à la surface. Si l’on m’avait demandé ce que c’était que l’existence, j’aurais répondu de bonne foi que ça n’était rien, tout juste une forme vide qui venait s’ajouter aux choses du dehors, sans rien changer à leur nature. Et puis voilà : tout d’un coup, c’était là, c’était clair comme le jour : l’existence s’était soudain dévoilée. Elle avait perdu son allure inoffensive de catégorie abstraite : c’était la pâte même des choses, cette racine était pétrie dans de l’existence. Ou plutôt la racine, les grilles du jardin, le banc, le gazon rare de la pelouse, tout ça s’était évanoui ; la diversité des choses, leur individualité n’était qu’une apparence, un vernis. Ce vernis avait fondu, il restait des masses monstrueuses et molles, en désordre – nues, d’une effrayante et obscène nudité. Je me gardais de faire le moindre mouvement, mais je n’avais pas besoin de bouger pour voir, derrière les arbres, les colonnes bleues et le lampadaire du kiosque à musique, et la Velléda, au milieu d’un massif de lauriers. Tous ces objets… comment dire ? Ils m’incommodaient ; j’aurais souhaité qu’ils existassent moins fort, d’une façon plus sèche, plus abstraite, avec plus de retenue. Le marronnier se pressait contre mes yeux. Une rouille verte le couvrait jusqu’à mi-hauteur ; l’écorce, noire et boursouflée, semblait de cuir bouilli. Le petit bruit d’eau de la fontaine Masqueret se coulait dans mes oreilles et s’y faisait un nid, les emplissait de soupirs ; mes narines débordaient d’une odeur verte et putride. Toutes choses, doucement, tendrement, se laissaient aller à l’existence comme ces femmes lasses qui s’abandonnent au rire et disent : « C’est bon de rire » d’une voix mouillée ; elles s’étalaient, les unes en face des autres, elles se faisaient l’abjecte confidence de leur existence. Je compris qu’il n’y avait pas de milieu entre l’inexistence et cette abondance pâmée. Si l’on existait, il fallait exister jusque-là, jusqu’à la moisissure, à la boursouflure, à l’obscénité. Dans un autre monde, les cercles, les airs de musique gardent leurs lignes pures et rigides. Mais l’existence est un fléchissement. Des arbres, des piliers bleu de nuit, le râle heureux d’une fontaine, des odeurs vivantes, de petits brouillards de chaleur qui flottaient dans l’air froid, un homme roux qui digérait sur un banc : toutes ces somnolences, toutes ces digestions prises ensemble offraient un aspect vaguement comique. Comique… non : ça n’allait pas jusque-là, rien de ce qui existe ne peut être comique ; c’était comme une analogie flottante, presque insaisissable avec certaines situations de vaudeville. Nous étions un tas d’existants gênés, embarrassés de nous-mêmes, nous n’avions pas la moindre raison d’être là, ni les uns ni les autres, chaque existant, confus, vaguement inquiet, se sentait de trop par rapport aux autres. De trop : c’était le seul rapport que je pusse établir entre ces arbres, ces grilles, ces cailloux. En vain cherchais-je à compter les marronniers, à les situer par rapport à la Velléda, à comparer leur hauteur avec celle des platanes : chacun d’eux s’échappait des relations où je cherchais à l’enfermer, s’isolait, débordait. Ces relations (que je m’obstinais à maintenir pour retarder l’écroulement du monde humain, des mesures, des quantités, des directions), j’en sentais l’arbitraire ; elles ne mordaient plus sur les choses. De trop, le marronnier, là en face de moi un peu sur la gauche. De trop, la Velléda… Et moi – veule, alangui, obscène, digérant, ballottant de mornes pensées – moi aussi j’étais de trop. Heureusement je ne le sentais pas, je le comprenais surtout, mais j’étais mal à l’aise parce que j’avais peur de le sentir (encore à présent j’en ai peur – j’ai peur que ça ne me prenne par le derrière de ma tête et que ça ne me soulève comme une lame de fond). Je rêvais vaguement de me supprimer, pour anéantir au moins une de ces existences superflues. Mais ma mort même eût été de trop. De trop, mon cadavre, mon sang sur ces cailloux, entre ces plantes, au fond de ce jardin souriant. Et la chair rongée eût été de trop dans la terre qui l’eût reçue et mes os, enfin, nettoyés, écorcés, propres et nets comme des dents eussent encore été de trop : j’étais de trop pour l’éternité. Le mot d’Absurdité naît à présent sous ma plume ; tout à l’heure, au jardin, je ne l’ai pas trouvé, mais je ne le cherchais pas non plus, je n’en avais pas besoin : je pensais sans mots, sur les choses, avec les choses. L’absurdité, ce n’était pas une idée dans ma tête, ni un souffle de voix, mais ce long serpent mort à mes pieds, ce serpent de bois. Serpent ou griffe ou racine ou serre de vautour, peu importe. Et sans rien formuler nettement, je comprenais que j’avais trouvé la clef de l’Existence, la clef de mes Nausées, de ma propre vie. De fait, tout ce que j’ai pu saisir ensuite se ramène à cette absurdité fondamentale. Absurdité : encore un mot ; je me débats contre des mots ; là-bas, je touchais la chose. Mais je voudrais fixer ici le caractère absolu de cette absurdité. Un geste, un événement dans le petit monde colorié des hommes n’est jamais absurde que relativement : par rapport aux circonstances qui l’accompagnent. Les discours d’un fou, par exemple, sont absurdes par rapport à la situation où il se trouve mais non par rapport à son délire. Mais moi, tout à l’heure, j’ai fait l’expérience de l’absolu : l’absolu ou l’absurde. Cette racine, il n’y avait rien par rapport à quoi elle ne fût absurde. Oh ! Comment pourrai-je fixer ça avec des mots ? Absurde : par rapport aux cailloux, aux touffes d’herbe jaune, à la boue sèche, à l’arbre, au ciel, aux bancs verts. Absurde, irréductible ; rien – pas même un délire profond et secret de la nature – ne pouvait l’expliquer. Évidemment je ne savais pas tout, je n’avais pas vu le germe se développer ni l’arbre croître. Mais devant cette grosse patte rugueuse, ni l’ignorance ni le savoir n’avaient d’importance : le monde des explications et des raisons n’est pas celui de l’existence. Un cercle n’est pas absurde, il s’explique très bien par la rotation d’un segment de droite autour d’une de ses extrémités. Mais aussi un cercle n’existe pas. Cette racine, au contraire, existait dans la mesure où je ne pouvais pas l’expliquer. Noueuse, inerte, sans nom, elle me fascinait, m’emplissait les yeux, me ramenait sans cesse à sa propre existence. J’avais beau me répéter : « C’est une racine » – ça ne prenait plus. Je voyais bien qu’on ne pouvait pas passer de sa fonction de racine, de pompe aspirante, à ça, à cette peau dure et compacte de phoque, à cet aspect huileux, calleux, entêté. La fonction n’expliquait rien : elle permettait de comprendre en gros ce que c’était qu’une racine, mais pas du tout celle-ci. Cette racine, avec sa couleur, sa forme, son mouvement figé, était… au-dessous de toute explication. Chacune de ses qualités lui échappait un peu, coulait hors d’elle, se solidifiait à demi, devenait presque une chose ; chacune était de trop dans la racine, et la souche tout entière me donnait à présent l’impression de rouler un peu hors d’elle-même, de se nier, de se perdre dans un étrange excès. Je raclai mon talon contre cette griffe noire : j’aurais voulu l’écorcher un peu. Pour rien, par défi, pour faire apparaître sur le cuir tanné le rose absurde d’une éraflure : pour jouer avec l’absurdité du monde. Mais, quand je retirai mon pied, je vis que l’écorce était restée noire. Noire J’ai senti le mot qui se dégonflait, qui se vidait de son sens avec une rapidité extraordinaire. Noire ? La racine n’était pas noire, ce n’était pas du noir qu’il y avait sur ce morceau de bois – c’était… autre chose : le noir, comme le cercle, n’existait pas. Je regardais la racine : était-elle plus que noire ou noire à peu près ? Mais je cessai bientôt de m’interroger parce que j’avais l’impression d’être en pays de connaissance. Oui, j’avais déjà scruté, avec cette inquiétude, des objets innommables, j’avais déjà cherché – vainement – à penser quelque chose sur eux : et déjà j’avais senti leurs qualités, froides et inertes, se dérober, glisser entre mes doigts. Les bretelles d’Adolphe, l’autre soir, au Rendez-vous des Cheminots. Elles n’étaient pas violettes. Je revis les deux taches indéfinissables sur la chemise. Et le galet, ce fameux galet, l’origine de toute cette histoire : il n’était pas… je ne me rappelais pas bien au juste ce qu’il refusait d’être. Mais je n’avais pas oublié sa résistance passive. Et la main de l’Autodidacte ; je l’avais prise et serrée, un jour, à la bibliothèque et puis j’avais eu l’impression que ça n’était pas tout à fait une main. J’avais pensé à un gros ver blanc, mais ça n’était pas ça non plus. Et la transparence louche du verre de bière, au café Mably. Louches : voilà ce qu’ils étaient, les sons, les parfums, les goûts. Quand ils vous filaient rapidement sous le nez, comme des lièvres débusqués, et qu’on n’y faisait pas trop attention, on pouvait les croire tout simples et rassurants, on pouvait croire qu’il y avait au monde du vrai bleu, du vrai rouge, une vraie odeur d’amande ou de violette. Mais dès qu’on les retenait un instant, ce sentiment de confort et de sécurité cédait la place à un profond malaise : les couleurs, les saveurs, les odeurs n’étaient jamais vraies, jamais tout bonnement elles-mêmes et rien qu’elles-mêmes. La qualité la plus simple, la plus indécomposable avait du trop en elle-même, par rapport à elle-même, en son cœur. Ce noir, là, contre mon pied, ça n’avait pas l’air d’être du noir mais plutôt l’effort confus pour imaginer du noir de quelqu’un qui n’en aurait jamais vu et qui n’aurait pas su s’arrêter, qui aurait imaginé un être ambigu, par-delà les couleurs. Ça ressemblait à une couleur mais aussi… à une meurtrissure ou encore à une sécrétion, à un suint – et à autre chose, à une odeur par exemple, ça se fondait en odeur de terre mouillée, de bois tiède et mouillé, en odeur noire étendue comme un vernis sur ce bois nerveux, en saveur de fibre mâchée, sucrée. Je ne le voyais pas simplement, ce noir : la vue, c’est une invention abstraite, une idée nettoyée, simplifiée, une idée d’homme. Ce noir-là, présence amorphe et veule, débordait, de loin, la vue, l’odorat et le goût. Mais cette richesse tournait en confusion et finalement ça n’était plus rien parce que c’était trop. Ce moment fut extraordinaire. J’étais là, immobile et glacé, plongé dans une extase horrible. Mais, au sein même de cette extase quelque chose de neuf venait d’apparaître : je comprenais la Nausée, je la possédais. A vrai dire je ne me formulais pas mes découvertes. Mais je crois qu’à présent, il me serait facile de les mettre en mots. L’essentiel c’est la contingence. Je veux dire que, par définition, l’existence n’est pas la nécessité. Exister, c’est être là, simplement ; les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire. Il y a des gens, je crois, qui ont compris ça. Seulement ils ont essayé de surmonter cette contingence en inventant un être nécessaire et cause de soi.Or aucun être nécessaire ne peut expliquer l’existence : la contingence n’est pas un faux-semblant, une apparence qu’on peut dissiper ; c’est l’absolu, par conséquent la gratuité parfaite. Tout est gratuit, ce jardin, cette ville et moi-même. Quand il arrive qu’on s’en rende compte, ça vous tourne le cœur et tout se met à flotter, comme l’autre soir, au Rendez-vous des Cheminots : voilà la Nausée ; voilà ce que les Salauds– ceux du Coteau Vert et les autres – essaient de se cacher avec leur idée de droit. Mais quel pauvre mensonge : personne n’a de droit ; ils sont entièrement gratuits, comme les autres hommes, ils n’arrivent pas à ne pas se sentir de trop. Et en eux-mêmes, secrètement, ils sont trop, c’est-à-dire amorphes et vagues, tristes. Combien de temps dura cette fascination ? J’étais la racine de marronnier. Ou plutôt j’étais tout entier conscience de son existence. Encore détaché d’elle – puisque j’en avais conscience – et pourtant perdu en elle, rien d’autre qu’elle. Une conscience mal à l’aise et qui pourtant se laissait aller de tout son poids, en porte à faux, sur ce morceau de bois inerte. Le temps s’était arrêté : une petite mare noire à mes pieds ; il était impossible que quelque chose vînt après ce moment-là. J’aurais voulu m’arracher à cette atroce jouissance, mais je n’imaginais même pas que cela fût possible ; j’étais dedans ; la souche noire ne passait pas, elle restait là, dans mes yeux, comme un morceau trop gros reste en travers d’un gosier. Je ne pouvais ni l’accepter ni la refuser. Au prix de quel effort ai-je levé les yeux ? Et même, les ai-je levés ? ne me suis-je pas plutôt anéanti pendant un instant pour renaître l’instant d’après avec la tête renversée et les yeux tournés vers le haut ? De fait, je n’ai pas eu conscience d’un passage. Mais, tout d’un coup, il m’est devenu impossible de penser l’existence de la racine. Elle s’était effacée, j’avais beau me répéter : elle existe, elle est encore là, sous le banc, contre mon pied droit, ça ne voulait plus rien dire. L’existence n’est pas quelque chose qui se laisse penser de loin : il faut que ça vous envahisse brusquement, que ça s’arrête sur vous, que ça pèse lourd sur votre cœur comme une grosse bête immobile – ou alors il n’y a plus rien du tout.Il n’y avait plus rien du tout, j’avais les yeux vides et je m’enchantais de ma délivrance. Et puis, tout d’un coup, ça s’est mis à remuer devant mes yeux, des mouvements légers et incertains : le vent secouait la cime de l’arbre.”

    La Nausée

    1938

    Jean-Paul Sartre

  • Furinkazan,  Textes

    Amsterdam Navigator 8.0%

    Une casquette bleue, la visière visée en arrière, un sweat-shirt vert à capuche, des shorts trois couleurs gris et une paire de baskets jaunes-fluo. Un après-midi soutenu à mi-hauteur du temps par le bruit des machines de chantier invisibles mais proches, les discours lointains et irréels, en dialecte germanique tantôt chantonnant, parfois rêche et abrupte, le vent oscillant déchargeant instantanément la surcharge de chaleur apportée par le soleil omniprésent, quelle que soit la direction scrutée. Une discrépance flagrante entre le style vestimentaire multicolore émergeant d’une époque qui n’a jamais existée, la silhouette signifiée uniquement par la rondeur de l’abdomen saillant sous le vêtement trop étriqué et l’âge présumé du personnage, dépeint ce être approchant les cinquante ans.

    Je reconnais immédiatement son état d’esprit, balançant le poids de son corps usé d’une jambe à l’autre, irrégulièrement, comme un métronome dysfonctionnant, malgré l’absence de musique. Cette gaieté hyperactive et éphémère m’a gagnée des dizaines, voire des centaines de fois, émergeant ponctuellement à un intervalle régulier de l’ingurgitation du nectar, irrémédiablement, déposant sur mon visage un sourire radieux et sur mon moral l’impression que tout est possible, que je pourrai diriger un pays demain, succomber à des amours inexistantes et résister à la réalité crue de l’existence, qui se projette avec force contre les portes de mon esprit, comme un bélier impassible et immensément lourd, afin d’en faire rompre les celés et de permettre à cette marée nauséabonde et portant les restes de l’humanité, de se déverser en moi.

    Mais pour l’instant, il s’en fout, se délecte de l’air ensoleillé en consommant rapidement sa canette rouge et pensant à l’héroïne dans sa poche, il découpe une énième prolongation d’un état de grâce, annihilant toute réalité, se détournant encore une fois des ombres à forme humaine, l’attendant depuis des années, derrière cette porte, l’attendant pour lui rappeler son absurdité et chaque plus petit mensonge qu’il a nourri envers lui-même depuis qu’il a pris conscience de son incapacité à vivre, du vide béant emplissant son être, et de l’absence totale en lui des édifices représentant les valeurs qui semblent constituer et légitimer l’existence de la majeur partie des individus ayant vu le jour.

    Un matériau invisible, intangible, traversant de part en part la poitrine des gens, élevant des hordes de corps, qui survolent le sol, inanimés, les bras ballant et les pieds traînant par terre, se déplaçant, alignés, le regard éteint, le faciès figé ne permettant plus de différentier chaque individualité, comme des millions de fourmis indiscernables les unes des autres. Puis il y a lui, avec ses habits colorés, assis par terre au bord du cortège soulevant des nuages de poussière, les jambes repliées sur le côté droit, regardant de manière hébétée cette procession à laquelle il n’appartient pas, à laquelle il ne comprend rien, ne comprendra jamais rien, à laquelle il ne pourra jamais appartenir, même si son seul désire et sa plus grande humiliation serait de tout sacrifier pour intégrer cette colonne de spectres, anesthésiant son esprit, rentrant en hibernation, loin de toute espèce d’activité mentale, vers un néant apaisant.

    Furinkazan

    Juin 2018

  • Furinkazan,  Textes

    Inaltération

    Un sourire, un film rose se dépose brièvement sur ses joues ambrées. Deux yeux en amande animés tourbillonnent derrière les verres portés par de larges montures, puis semblent se fixer dans le vague, pour laisser jaillir un magma d’émotions, turquoises, jaunes, violettes, virevoltant devant la jeune femme, portées par des phrases dont les mots disparaissent, futiles. L’énergie immense et sincère des sentiments prenant son origine au cœur même de cet être, sans aucune transformation, sans aucun maquillage généralement imposé par les codes de communication, un sentiment condescendant de gêne pointe sous la surface lissée et impassible de certains interlocuteurs, alors que je me délecte de découvrir une source pure et limpide se déversant sainement hors d’un esprit entièrement ouvert aux milliers de stimuli environnants. Cette sincérité brute m’emplit immédiatement d’un sentiment de soulagement, une onde apaisante parcourt mon corps, de la racine de mes membres jusqu’aux extrémités, accompagné d’un picotement agréable et chaud. Je ne perçois aucune altération du flux de vie transmis, une pureté exempte de poussière, qui pourraient imperceptiblement salir cette énergie tangible suspendue devant ses mains, distordant subtilement l’atmosphère, comme l’image ondulante s’évaporant de l’asphalte chaude.

    Furinkazan

    Juin 2018

  • Furinkazan,  Textes

    La surface

    J’observe mon personnage, flânant entre les colonnes bordant une des places qui s’enchainent au long de ma promenade, par une agréable journée de septembre, encore chaude, où touristes, jeunes mères apprêtées et épuisées ou étudiants trentenaires offrent chaque pore de leur peau déjà blême à la chaleur solaire, les photons s’écrasant en dessous de la surface pour disparaître en une agréable sensation de picotement. La projection du film se fait de manière discrètement saccadée, à l’instar des images produites par les bobines du temps de l’enfance de nos parents, sur un pan de mur blanc immaculé, sans aucune irrégularité, une surface ne paraissant pas de confection humaine, mais ayant existé depuis toujours, monolithe immuable, précédant même la naissance de notre planète… 

    Je détecte soudainement une fêlure, d’abord invisible, puis nette, infiniment étroite, déchirant insidieusement et douloureusement la dalle d’abord parfaite, qui sert d’écran pour la projection de ces scènes chaque fois uniques au travers de mon existence et pourtant jouées et répétées silencieusement des milliards de fois dans mon esprit et dans celui d’autres êtres esseulés et errants à travers la capitale. 

    Les deux aires ainsi générées par cette brèche montrent également une différence de niveau, imprimant une fracture, une discontinuité imperceptible dans les lignes composant les images de ma vie, qui continuent à défiler sur l’écran. Cette infime altération semble en fait présente dès l’origine, depuis la première projection, et même avant…provoquant un décalage, un écart niant d’un seul coup l’essence de ces expériences, annihilant l’harmonie et la signification rassurante que pourraient avoir ces images…Une distorsion immuable de ma perception, un filtre malin et destructeur s’est déposé sur mes cornées…

    Furinkazan

    Avril 2018

  • Furinkazan,  Textes

    Un bar

    Le son d’une voix barbue couvrant partiellement les notes volontairement asynchrones du violon de Ginette, berçant la lente et pourtant si prédictible progression des lames enivrantes du houblon de ma bière, esseulée. L’asymétrie de l’existence projetée sur la toile qui se présente à moi. La courbure des balcons saumon, le contraste pastel du ciel bleu, alternant avec le dégradé gris des nuages s’étendant langoureusement sur ces 20 degrés de mois d’avril.  Le vert des marronniers rampant le long des façades si bien connues par mon souvenir, ce crépit typique de notre ville intemporelle.  Tout me ramène à mon incohérence ; la démarche légèrement spastique de la jeune femme qui tente de l’intégrer à une image plausible, à une unité banale qui la laissera survivre et évoluer au sein de ses congénères. Les mouvements répétés et stéréotypé de l’homme sans âge qui me fait face à la table voisine, étreint entre une biologie inflexible dépendant des habitudes de vie et une accordance certaine avec les signes nécessaires de reconnaissance stylistiques et vestimentaires de son époque. Caressant la poche de son sac à dos, adossé à ces pieds, la table le protégeant des regards indiscrets, qui pourraient tenter de décomposer cette manie, évoquant une sortie canalisée de toute les tensions de son esprit, comme si la somme des flux nerveux se propageant à la surface de sa peau se concentraient et s’engouffraient à travers une seule et unique porte de sortie devenant lumineux sous forme de petits éclairs bleus, courant jusqu’à la surface tissée noir de son bagage.
    L’ondulation ponctuelle de la frange d’un store replié me signifie les variations de l’air, portant également le linge étendu au deuxième étage du bâtiment jouxtant le bar où j’ai établi résidence, en compagnie de mon éternel et mécanique ami, MacBook pro 15 pouce avec son écran retina quotidien, ou même parfois horaire.

    Furinkazan

    Août 2017

  • Furinkazan,  Textes

    Une force

    Aujourd’hui, un homme m’a rappelé à moi-même. Sa condition fragile a réanimé en lui une fibre de vie, saillante, indestructible, s’élevant sans fléchir, insatiablement vers le haut, le ciel, l’avenir, l’avant, en direction de la proue de ce navire en dérive, vers le large. L’élan originel, pur à nouveau, après l’effacement de de tout cynisme recouvrant notre expérience déjà trop vielle et malade, cette énergie de vie naissante et encore innocente des vicissitudes abrasives tournoyant autour de nos êtres afin de les réduire à néant, cette force s’est frayée un chemin à travers ses mots brillants et trébuchants. J’ai reconnu un sentiment oublié depuis longtemps, enfoui au fond de mon être, à l’instar d’un foyer incandescent étouffé, depuis des années, manquant d’oxygène ; cette certitude de pouvoir influer le cours des événements, même de façon minime et temporaire, dans une direction parallèle aux valeurs de vie qui résonnent au fond de nous, s’est matérialisée à travers son sourire, sincère et serin. Diriger son énergie, son temps, investir des efforts extraordinaires dans une réalisation ardue, au détriment parfois d’une facilité factice, afin de contribuer à l’élévation des valeurs même qui constituent notre identité, pierres angulaires qui participeront à l’édification des fondements même de l’âme de nos enfants, qui voguera ensuite d’elle-même au grès de leurs traits de caractère et expériences de vie. Ils sauront retrouver ces assises en tout temps, s’y ferrer afin de résister aux courants de vie ; elles auront le caractère rassurant d’une vielle connaissance, réconfortant d’un foyer accueillant, leur permettant de reprendre leur voyage en confiance et avec sérénité. L’oubli de cette impulsion élémentaire et constitutionnelle au profit d’une attitude résignée, pusillanime, aigrie et désillusionnée n’est pas envisageable.

    Furinkazan

    Juillet 2017

  • Auteurs,  Textes

    Réminiscence

     

    “Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé ; les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot – s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.”

      

    A la recherche du temps perdu

    Marcel Proust

  • Artistes,  Textes

    Hymne à la beauté

    Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme, ô Beauté ? ton regard, infernal et divin,
    Verse confusément le bienfait et le crime,
    Et l’on peut pour cela te comparer au vin.

    Tu contiens dans ton oeil le couchant et l’aurore ;
    Tu répands des parfums comme un soir orageux ;
    Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore Qui font le héros lâche et l’enfant courageux.

    Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ? Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ; Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,
    Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.

    Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ; De tes bijoux l’Horreur n’est pas le moins charmant, Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,
    Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.

    L’éphémère ébloui vole vers toi, chandelle, Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau ! L’amoureux pantelant incliné sur sa belle
    A l’air d’un moribond caressant son tombeau.

    Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe,
    ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !
    Si ton oeil, ton souris, ton pied, m’ouvrent la porte D’un Infini que j’aime et n’ai jamais connu ?

    De Satan ou de Dieu, qu’importe ? Ange ou Sirène, Qu’importe, si tu rends, – fée aux yeux de velours, Rythme, parfum, lueur, à mon unique reine !
    L’univers moins hideux et les instants moins lourds ?

    Les Fleurs du mal

    1857

    Baudelaire

  • Auteurs,  Textes

    Clarté

    Un esprit confus ne peut conduire qu’à une décision en demi-teinte. Un homme, dont l’esprit n’est pas dévoré par les soucis, qui est dans de bonnes dispositions et plein d’ardeur peut prendre une décision en moins de sept respirations. Lorsqu’il garde sa présence d’esprit, même s’il est acculé, il peut faire preuve d’une grande détermination et trancher dans le vif
    Hagakure
    Yamamoto Tsunetomo
  • Auteurs,  Textes

    Compétences

    La tactique militaire et la stratégie nous révèlent la compétence ou l’incompétence des hommes. L’homme compétent est celui qui n’est pas seulement guidé par son expérience mais qui est prêt, le moment venu, à résoudre de manière pertinente n’importe quel problème, s’appuyant sur ce que l’étude lui a appris des mesures à prendre en toutes circonstances cet homme est prêt à affronter n’importe quelle situation. Tandis que l’homme incompétent ne se renseigne pas à l’avance s’il semble réussir à résoudre un problème, ce n’est que pur hasard. 

    Yamamoto Tsunetomo

  • Furinkazan,  Textes

    28 ans

    La mort d’un jeune homme. Pas si proche. Salué à plusieurs reprises, un moment partagé pour jouer au basket, de nombreuses occasions de mieux se connaître, et rien, pas d’échange réel. Puis cette nouvelle bouleversante et un peu irréel, d’une maladie que je sais incurable, plus ou moins rapide, douloureuse et si rare à cet âge. Ma tristesse et considération sont sincères, mais transposées à un être potentiel, à l’éventualité d’un tel événement dans ma famille proche, mon jeune frère, mes amis, mes frères. J’essaie sans fin de me représenter, de retracer les différentes phases qu’il a du traverser, or ces émotions restent transcendantes, absolument inatteignable pour un être un bonne santé, comme moi. Ces jeunes hommes et femmes, souffrent, leur peau est fine et transparente, certains n’ont même pas le temps de réaliser pleinement qu’ils vont mourir, et s’éteignent avant. Ils sont là, juste à côté de moi, et je ne parviens pas à les voir. Une distance étrange m’empêche de comprendre réellement. Et pourtant, les larmes coulant sur les joues barbues de ses amis, la voix tressaillant et tentant de prononcer quelques paroles vaines dans ce moment absolument tragique, l’immensité du ciel où virevoltent trois oiseaux noirs, le silence sourd et épais, couvert par le bruits de la terre sur le cercueil, l’autoroute au loin et les gazouillis, tentent d’extirper des pleurs, chauds et incontrôlables, du fond de ma poitrine, comme des ombres de mains acérées, plongeant dans ma gorge, en direction de mon cœur.
    Puis subitement une envie irrésistible de figer le temps, de s’extraire du flux d’images et de sons quelques heures…

    Furinkazan

    Octobre 2011

  • Furinkazan,  Textes

    Ingérences

    Le concept de non ingérence dans un pays tiers disparaît devant le meurtre de ses enfants, le viol de sa femme et l’humiliation par la torture, car les souffrances engendrées sont les mêmes pour chaque homme, quelle que soit sa couleur, sa culture, sa religion ou son âge.
    Certains actes ne peuvent donc être tolérés, malgré tous les discours de respect des civilisations différentes, les lois internationales de non interventionnisme et les intérêts économiques et politiques : l’unique sentiment d’intégrité envers soi-même et la reconnaissance de sa personne en tant que être humain nous permettent de ressentir également ces douleurs fondamentales et universelles et justifient l’action.

    Furinkazan

    Octobre 2011