“Désanimalisation”
Ce que les gens entendent par la notion d’« être humain » se réduit toujours à une convention bourgeoise précaire. Celle-ci rejette et réprouve certains instincts extrêmement brutaux ; elle réclame une part de conscience, de civilité et de « désanimalisation » ; enfin, elle ne se contente pas d’autoriser un soupçon d’esprit, elle l’exige. L’« homme » défini selon cette convention représente, comme tout idéal bourgeois, un compromis. C’est une entreprise timide, naïvement rusée, qui vise à empêcher aussi bien notre mère à tous: la nature mauvaise, que notre père à tous : l’esprit ennuyeux, de faire valoir leurs fortes exigences. Elle permet ainsi de vivre entre les deux, dans un espace intermédiaire où règne une atmosphère tiède. Voilà pourquoi le bourgeois accepte et tolère ce qu’il appelle la « personnalité », tout en livrant celle-ci au Moloch que représente « l’État » et en se servant constamment de l’un pour lutter contre l’autre. Voilà pourquoi aussi le bourgeois brûle aujourd’hui un hérétique ou pend un criminel auquel il élèvera demain des statues.
Le loup des steppes
1927
Hermann Hesse