La neige
Les écouteurs insérés dans les conduits auditifs par la laine serrée du bonnet, déversent la voix éraillée de Brian Johnson dans mes oreilles : Thunderstruck. Les moins quinze degrés ont éliminé toute présence humaine. Les oiseaux, les traces fraîches d’animaux sauvages, toujours supputés mais jamais capturés, les branches souples des sapins ployant sous le les amas écrasant de cet or blanc et léger, dont l’éclat provoque déjà une vague électrique parcourant progressivement mon corps, pour s’intensifier et se rejoindre exactement au vertex de mon crâne. Réminiscence chimique quémandée par mes amygdales affamées. Le ventre immaculé de la pente se présentant en contre-bas, évoque la surface de la terre, unie, sans relief ou découpe géographique, une terre blanche, un sphère parfaite vu de l’espace.
Le couloir bordé par les arbres serrés, seuls garants de la visibilité dans cet espace uniformément blanc, sans transition entre la surface de la neige et le ciel, m’aspire, me happe violemment ; impossible de résister à cette impulsion primaire.
Un minime mouvement imprimé à la planche et déjà, mon corps tendu, agile, accélère rapidement avant esquisser le premier changement de direction, cisaillant la masse épaisse de neige, transmettant cette poussée jouissive à mes cuisses sous tension.
Puis plus rien. Plus un être vivant, je n’existe même plus. Un silence ouateux et strident a remplacé la guitare électrique, seules restent les accélérations appliquées à mon corps par les virages rythmiques, à droite, à gauche, à droite, à gauche….
Le moule froid immobilisant mes membres à l’instar d’une alcôve éternelle apaise mes muscles échauffés. Étendu dans la neige, mon être immobile se dilapide en une sensation de soulagement immense, englobe l’univers entiers qui se cristallise à travers les étoiles géométriques parfaites qui viennent doucement se déposer sur la surface irisée de mon masque.
L’immobilité de mon regard, la douceur de l’atmosphère intimiste de la forêt, connectée au reste de l’univers par une brèche s’ouvrant à travers les cimes de sapins, permettant aux flocons silencieux de se frayer un chemin au cœur de l’abri formé par le bois, tampon m’isolant du mouvement frénétique régnant au sein de cet immense étang, dédié à la pisciculture humaine sauvage et effrénée.