Furinkazan,  Textes

La piscine

J’aperçois le cuir chevelu clair de mon fils, pointer de manière rythmique à la surface de l’eau bleue chlore, quelques centimètres émergent, laissant apparaître ses yeux protégés par des lunettes aux bordures plastiques orange quasi fluorescent, puis la tête de ce submersible replonge immédiatement, après avoir rapidement chargé ses poumons d’air. A chaque fois, une peur m’étreint ; s’essouffle-t-il ? Cherche-t-il désespérément à regagner la surface, ce que ne lui permet sa brasse inefficace ?  

Puis soudainement je comprends, je me souviens parfaitement…cette sensation exaltante du déplacement vertical lent de mon corps, dans une eau un peu plus profonde que ma hauteur, sentant le frottement des fluides contre ma peau, d’abord dirigé vers le haut lors de ma descente ralentie, puis vers le bas après avoir rebondi sur un court contact de la pointe de mon pied avec les catelles au fond du bassin, dirigeant ma bouche vers la surface afin de reprendre brièvement mon souffle. Puis je redescends, mouvement identique au précédent, conforme à la prochaine ascension ; processus pendulaire qui pourrait bien être perpétuel, perdurer sans plus aucun besoin de commande, naturel, automatisé et inconscient. Il ne reste que le silence apaisant de l’eau, cette masse liquide lourde et dense mais contenue dans le bassin dont je connais les limites, faisant le tampon avec le monde extérieur, isolant mon corps mais également mes pensées ; je perçois uniquement le murmure récurrent et régulier des bulles d’air courant régulièrement sur ma peau, en remontant à la surface, relâchées de manière rythmique par mes poumons, métronomes des oscillations de mon centre de gravité.  

Je reconnais cet apaisement chez ce jeune garçon, ce soulagement identique à celui généré chez l’enfant que j’étais, il y a de nombreuses années, par l’isolement réconfortant offert par ces longues heures de jeux dans le bassin. Plus rien d’extérieur n’existe, l’univers entier, avec son caractère à la fois immense et intimidant, la nature totalement étrangère du ciel large qui nous aliène, est maintenu à distance et ne peut d’aucune manière nous atteindre, nous annihiler sous son poids infini, remettre en question la perception de notre existence propre par son indifférence totale et immuable. 

Il est seul, comme moi, et pourtant réconforté dans cet isolement temporaire….

Furinkazan

Novembre 2018