Furinkazan,  Textes

La prison

Le décor est posé autour de moi. Le ciel offre un bleu limpide, se découpant avec netteté du reste des composantes de la scène mouvante. Des passants, partageant finalement les mêmes accoutrements avec des variations factices de formes et de couleurs, évoluent de manière complètement indépendante les uns des autres, comme des entités matérielles perceptibles et vide en même temps, les lignes du visage aspirées par le quadrilatère lumineux intégré dans leur paume.  

Quelle que soit la direction explorée par mon regard, il retrouve matière, activité, fluctuation et inflexion de la qualité et des teintes que revêt successivement l’atmosphère remplissant chaque millimètre cube d’air m’entourant. Pas de brèche visible dans ce globe semblant me contenir, pas d’échappatoire, de faille à suivre pour se soustraire à cet instant, à cette réalité trop précise, trop aiguisée. Chaque feuille d’arbre, rouge, jaune, orange se découpe implacablement du ciel, comme ciselée dans un canevas étincellent, suspendu en arrière-plan. Les rayons du soleil irradient au sein de cet espace, comme à travers un prisme, parfois parallèles, parfois s’entrecroisant, certains naissant après la disparition de leurs prédécesseurs.  Le trajet de ces radiations semble ponctuellement infléchi, détourné de manière imperceptible, par une structure réticulaire translucide, invisible à mes yeux.

Si je pouvais voir, je découvrirais une toile d’araignée géante, faite d’une substance transparente, élastique et visqueuse, s’étendant comme des banderoles plastiques, certaines fuyant vers l’espace, les autres quadrillant le paysage horizontalement. Toutes sont reliées, par des ponts gluants, formant un système étroit, organisé, ubiquitaire, dont le maillage serré contrôle chaque déplacement de matière solide, gazeuse ou liquide, de même que la progression de toute pensée, de tout élan intérieur.  La réalité physique et chimique m’apparaît cristalline, absolument conforme à sa nature propre et originelle, le matériau primaire, l’identité profonde et non jouée des êtres m’entourant se lit simplement à travers leurs entrailles béantes.

Pourtant, la transcendance de cette armature molle figeant cet univers reste complète ; je ne suspecte même pas l’existence d’une telle prison indiscernable, d’une geôle éternelle me condamnant à une incarcération inconsciente. Des lignes transparentes conduisent et limitent chacun de mes déplacements, mon esprit se déplace sur des rails invisibles, assurant l’impossibilité de sortir du schéma établi par ce carcans.  

Cette cage est définitivement générée, enfantée par mon esprit vicié et totalement naïf. L’emprisonnement dont je fais l’objet est une pure production de mon intellect, n’existe qu’à travers moi.  J’apparais comme le cerbère de ma propre captivité, le garde et le bagnard ne font qu’un. Pourtant je l’ignore et me débats contre mon propre tortionnaire, cette intelligence contaminée et déformée, épuisant mes bras tétanisés par l’effort permanant.

La lecture des informations semble difficile, leur interprétation plus complexifiée que pour les autres acteurs de ces scènes. Exténuation lente, irrémédiable et inévitable de mon âme encastrée par l’étau de ma lucidité…