La surface
J’observe mon personnage, flânant entre les colonnes bordant une des places qui s’enchainent au long de ma promenade, par une agréable journée de septembre, encore chaude, où touristes, jeunes mères apprêtées et épuisées ou étudiants trentenaires offrent chaque pore de leur peau déjà blême à la chaleur solaire, les photons s’écrasant en dessous de la surface pour disparaître en une agréable sensation de picotement. La projection du film se fait de manière discrètement saccadée, à l’instar des images produites par les bobines du temps de l’enfance de nos parents, sur un pan de mur blanc immaculé, sans aucune irrégularité, une surface ne paraissant pas de confection humaine, mais ayant existé depuis toujours, monolithe immuable, précédant même la naissance de notre planète…
Je détecte soudainement une fêlure, d’abord invisible, puis nette, infiniment étroite, déchirant insidieusement et douloureusement la dalle d’abord parfaite, qui sert d’écran pour la projection de ces scènes chaque fois uniques au travers de mon existence et pourtant jouées et répétées silencieusement des milliards de fois dans mon esprit et dans celui d’autres êtres esseulés et errants à travers la capitale.
Les deux aires ainsi générées par cette brèche montrent également une différence de niveau, imprimant une fracture, une discontinuité imperceptible dans les lignes composant les images de ma vie, qui continuent à défiler sur l’écran. Cette infime altération semble en fait présente dès l’origine, depuis la première projection, et même avant…provoquant un décalage, un écart niant d’un seul coup l’essence de ces expériences, annihilant l’harmonie et la signification rassurante que pourraient avoir ces images…Une distorsion immuable de ma perception, un filtre malin et destructeur s’est déposé sur mes cornées…
Furinkazan
Avril 2018