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L’aveu biologique

“Ça n’a pas traîné. Dans cette stabilité désespérante de chaleur tout le contenu humain du navire s’est coagulé dans une massive ivrognerie. On se mouvait mollement entre les ponts, comme des poulpes au fond d’une baignoire d’eau fadasse. C’est depuis ce moment que nous vîmes à fleur de peau venir s’étaler l’angoissante nature des Blancs, provoquée, libérée, bien débraillée enfin, leur vraie nature, tout comme à la guerre. Étuve tropicale pour instincts tels crapauds et vipères qui viennent enfin s’épanouir au mois d’août, sur les flancs fissurés des prisons. Dans le froid d’Europe, sous les grisailles pudiques du Nord, on ne fait, hors des carnages, que soupçonner la grouillante cruauté de nos frères, mais leur pourriture envahit la surface dès que les émoustille la fièvre ignoble des Tropiques. C’est alors que l’on se déboutonne éperdument et que la saloperie triomphe et nous recouvre entiers. C’est l’aveu biologique. Dès que le travail et le froid ne nous astreignent plus, relâchent un moment leur étau, on peut apercevoir des Blancs, ce que l’on découvre du gai rivage, une fois que la mer s’en retire: la vérité, mares lourdement puantes, les crabes, la charogne et l’étron.”

“Voyage au bout de la nuit”

1932

Louis-Ferdinand Céline