Le corps comme référence
Bien que la réalité externe existe, ce que nous en connaissons nous parviendrait par le biais de la représentation des perturbations qu’elle subit lorsque le corps agit. Peut-être ne saurons-nous jamais dans quelle mesure les connaissances que nous acquérons ainsi reflètent fidèlement la réalité « absolue ». Il est seulement nécessaire que les représentations de la réalité que notre cerveau élabore soient tout à fait invariables, chez nous et chez les autres – et je crois qu’elles le sont.
Considérons la représentation que nous nous formons des chats : il s’agit de l’élaboration d’une certaine image traduisant la façon dont notre organisme tend à être modifié par une classe d’entités que nous appelons chats, et cette élaboration doit être faite de façon invariable, aussi bien par nous-mêmes que par les autres individus avec lesquels nous vivons. Ces représentations des chats, systématiques et invariables, sont, en elles-mêmes, réelles. Nos processus mentaux sont réels, les images que nous nous formons des chats sont réelles, la façon dont nous ressentons les chats est réelle. Simplement, cette réalité mentale, neurale, biologique est la nôtre. Les grenouilles ou les oiseaux qui regardent un chat le voient de façon différente, et c’est certainement le cas des chats eux-mêmes.
L’Erreur de Descartes
Antonio Damasio
1994