Révélation
Douze ans ; le ciel nuageux et le lac démonté s’assemblant en une coquille unique, fusion d’une base vert émeraude aux blanches écumes et d’une chape grise, bleue et violacée, colérique et turbulente. Cette vision impose son caractère immuable, grandiose, disproportionné. Le paysage peint par mille esprits se moque de nous, nargue notre insignifiance humaine, nous écrase littéralement en révélant notre modicité. L’astre tourne, indépendamment de nos existences, indifférent à nos destinées. Trop majestueux et dédaigneux se présente cette structure inaccessible, tour fortifiée, aux inégalités lisses, n’offrant aucune prise pour nos mains hagardes.
Miroir mouvant constitué par la fine couche d’eau accumulée temporairement entre deux mouvements de houle, sur la surface plane en pierre, délimitant la semelle de caoutchouc noir, encerclant progressivement mon pied, se fendant d’abord contre la proue de la chaussure, générant une vaguelette en sens opposé, puis longeant les flancs de ce navire éphémère et créant enfin un sillage paisible à sa proue.
La robe blanche du curé, présentant un entrecroisé macroscopique écru, ne signifie plus rien au sein de l’alcôve bleutée. Son sermon ne m’atteint plus, tente de pourlécher mes omoplates par cette matinée tardive et tumultueuse aux bords du Léman. Le message me semble soudain absurde, dérisoire, irréel. D’où peut venir la vérité, existe-t-elle seulement ? Toutes ces influences tournoient autour de mon être ; principes familiaux, préceptes religieux et normes sociales dévoilent finalement leur désuétude. Une voie singulière et émancipée doit exister ; comment emprunter ce chemin, où découvrir cette piste s’élevant doucement au loin, indépendamment des monstres normatifs dirigeant notre société, statues colossales aimantant ses individus pour réitérer toujours les mêmes schémas millénaires ?
Plus qu’une idée à mon esprit ; ne plus croire naïvement, me soustraire à ces empreintes en les intégrant dans la compréhension de l’univers, les considérant réelles sans les dogmatiser, détachant mon existence de ces liens, voyageant entre ces fourmilières à dômes, sans céder à l’appel de leurs habitants, mais en étant conscient de leur présence.
Le garçon à la veste verte, dont les cheveux châtains suffisamment longs dansent au rythme des bourrasques, clôt ses fines paupières, profitant d’un instant lumineux et chaleureux, offert par les rayons de soleil ayant perforé la couverture orageuse en un point unique et brillant.
Furinkazan
Mai 2019
Lac Léman en hiver
Eugène Grasset
Ca. 1900