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Système 1 versus Système 2

Le Système 1 fonctionne automatiquement et rapidement, avec peu ou pas d’effort et aucune sensation de contrôle délibéré. Confronté à un problème – le choix d’un coup aux échecs ou la décision d’investir dans des actions –, le mécanisme de la pensée intuitive fait du mieux qu’il peut. Si l’individu dispose de l’expertise adéquate, il va identifier la situation, et la solution intuitive qui lui viendra à l’esprit a de fortes chances d’être correcte. C’est ce qui se passe quand un maître d’échecs observe une position complexe : les quelques coups qui lui apparaissent immédiatement sont tous forts. Quand la question est difficile et qu’une solution experte n’est pas accessible, cela n’empêche pas l’intuition de prendre le risque : une réponse peut alors rapidement venir à l’esprit – mais ce n’est pas une réponse à la question d’origine. La question à laquelle le décideur faisait face (dois-je investir dans les actions de Ford ?) était difficile, mais c’est la réponse à une question facile, et malgré tout liée à la première (est-ce que j’aime les Ford ?), qui lui est aussitôt venue et a déterminé son choix. C’est l’essence de l’heuristique intuitive : face à une question ardue, nous penchons souvent pour une réponse à une question facile, généralement sans prendre conscience de la substitution. La pensée rapide englobe les deux variantes de la pensée intuitive – l’experte et l’heuristique –, ainsi que les activités mentales entièrement automatiques que sont la perception et la mémoire, ces opérations qui vous permettent de savoir qu’une lampe se trouve sur votre bureau ou de retrouver le nom de la capitale de la Russie.

Le Système 2 accorde de l’attention aux activités mentales contraignantes qui le nécessitent, y compris des calculs complexes. Le fonctionnement du Système 2 est souvent associé à l’expérience subjective de l’action, du choix, et de la concentration. Il arrive que la quête spontanée (Système 1) d’une solution intuitive échoue – ce n’est ni une solution d’expert, ni une réponse heuristique qui nous vient à l’esprit. Dans de tels cas, nous passons alors souvent à un mode de pensée plus lent, plus délibéré et qui nécessite plus d’effort. On peut parler de pensée lente.

On ne peut pas toujours échapper aux biais, parce que le Système 2 n’a peut-être pas repéré l’erreur. Même quand nous disposons d’indices, ce n’est qu’en renforçant son contrôle que le Système 2, non sans effort, peut éviter les erreurs. Toutefois, il n’est pas forcément bon de vivre constamment sur le qui-vive, et c’est assurément peu pratique. La constante remise en question de vos propres réflexions serait incroyablement pénible, et le Système 2 est beaucoup trop lent et inefficace pour pouvoir remplacer le Système 1 dans la prise de décisions de routine.

Système 1/Système 2

2011

Daniel Kahneman